une suite de luttes victorieuses pour la liberté contre
l'injustice
despuissances étrangères. Mais dès le XV® siècle, commence selon
lui
un processus de décadence, dû à la perte des valeurs et vertus originelles.L'invasion française de 1798 apparaît comme une conséquence de cette dégradation. Son récit est ponctué d'appels à ses lecteurs pour
qu'ils
re-trouventl'esprit
des ancêtres ainsi que les vertus qui ont permis à la Suisse de naître et de s'affirmer. Les premiers siècles de la Confédéra-tion sont donc présentés comme un âged'or;
ses héros, notamment Guillaume Tell, sont portés aux nues.Voici
un extrait qui se situe au moment où Tell vient de s'échapper de la barque qui l'emmenait en cap-tivité:«GidZ/m/mc 7e//
/.../
triste et pens/'/,' se c/isait À /«/-même: «Où/ihr
/aco/ère c/u tyran?
/.../
Devant pue/ tri/zuna/ puis-/'e citer Gess/er? Leroi
/»/-même n'écoute p/us /es cn's c/u peup/e. L/t Lien/ puispue /a yTtstice
n'a
p/us c/'autorité,puispu'i/ n'y
a p/us c/e juge entre /'oppresseur et /'opprùné, Gess/ez; /tous sommes tous /es c/eux /tors-/a-/oi; notre seu/e /oi, c'est /a nécess/té c/e se c/éfenc/re.S'i//aut
pue ma/emme,mon/ï/s
etma patr/e périssent innocens [sic], ou pue fu tombes c/targé c/e
/ot/a/ts;
meurs, tyran, et pue /a /iberférevive/» (éd. 1844, p.59).
Zschokke développe dans ce passage la problématique qui passionne bon nombre d'intellectuels depuis le XVIII® siècle: est-il légitime de se révolter contre
l'autorité
lorsque celle-ci ne respecte plus la tradition ou laloi
écrite? Jean de Muller, reconnu par tous les historiens suisses du XIX® siècle comme leur père spirituel, avait déjà tranché en 1795:«Ainsipérit
77e/'ma//n Gess/ez; at'anf /'/teure marp//éepour
/a c/é/ivrancec/es Wa/c/sfettes [sic], sans /e concours c/u peup/e
pu'i/
avait opprimé,victime c/e /a juste co/ère c/'un /tomme /ihre
f...)
[L'action de Guillaume Tell]/ùt
contraire aux /ois; mais c'estpour
c/es actions semWaWes pue/es /ibérateurs c/'Aî/zèzzes et e/e Lome, et /es /zéros c/u peup/e
juif
sontcomb/és c/'é/oges c/ans /es /tistoires c/e
/'a/tfipttité
ett/a/ts /es /ivres saints f...7//
/t'est zti àpropos,ni
nécessaire pue /es tyransn'aient
rien à re-c/ouier» (en gras dans le texte, tomeIII,
pp. 365-367).La leçon que livre l'histoire est donc sans équivoque: la révolte con-tre
l'injustice
est un droit légitime, ainsi que le recours à la violence pour gagner la liberté.Mais, chez Daguet et ses successeurs, aucun commentaire ne vient compléter le récit de Guillaume Tell et de la mort de Gessler. Le texte est sobre et se borne à relater les événements:
«Le// y..
J,
s'emparant tout à coup c/e /'ar/za/èfe e/'un c/es so/c/afs c/eGess/e/; s'é/ance c/'un //ont/ sur une espèce c/e p/afe/orme; /à,
par
unmouvement rapic/e,
i/
se retourne vers /e /ac, vise et perce /e tyran c/'untrait
morte/ au mi/ieu c/e ses garc/es et c/es Zzate/iers épouvantés» (éd.1868, p.36).
Cuchet estencore plus concis:
«/"..J t/ne tempête s'éZève; Gess/er effrayé cozz/ze /e gozzvez?zaz7 à 7e//.
Ce/zzz'-ci condzzit /a Zzarzpze ver? /e rivage, s'é/ance stzr zz/z z*oc/zez; et, se re/ozzrzzazz? sozzc/azVz, perce /e Zyrazi d'zzne/Zèc/ze.» (éd. 1896, p.32)
Les autres manuels font preuve de la même sobriété. Cette évolution peut sans doute s'expliquer de la manière suivante. Dans la deuxième moitié du
XIX"
siècle, les Républicains aménagent le pouvoirqu'ils
ont conquis en 1848. Le juste combat a été livré, la liberté a été conquise.Dans ces conditions,
il
n'est plus nécessaire de mettre en exergue ces héros en révolte contre l'autorité.En effet,
glorifier
Guillaume Tell comme le champion de la lutte con-trel'injustice,
légitimer lefait
que, parfois, l'éthique personnelle peut autoriser à braver laloi
et à recourir à la violence n'est pas exempt de risques en ces temps où le développement industriel provoque la forma-tion d'une nouvelle classe sociale défavorisée. Imaginons un instant un ouvrier qui se reconnaîtrait dans lefier
combat de Guillaume TellAinsi,
le thème de la lutte pour la liberté passe au second plan dans les manuels scolaires;il
est remplacé par celui del'égalité:
tous lesci-toyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs au sein de la collecti-vité.
Il
n'existe plus de privilèges, de discriminations dues à la naissan-ce. Tous les citoyens sont égaux.La manière dont les auteurs traitent la révolte des Paysans de 1653 est intéressante à cet égard.
Daguet et ses successeurs considèrent avec une certaine sympathie la tentative de ces hommes du peuple; Cuchet va
jusqu'à
parler de «noble cause».Il
explique que les paysans réunis à Sumiswald «jetèrent les bases d'une nouvelle Confédération démocratique».Il
n'est pas loin de présenter les masses paysannes comme les précurseurs des Radicaux de 1848.Tous les auteurs s'accordent à dire que la tentative
fut
maladroite et insensée, mais aucun ne selivre
au moindre commentaire désobligeant sur lemilieu
dont les révoltés sont issus et sur l'éventuelle rusticité de leurs mœurs.Par contre, Zschokke traite ces hommes avec un mépris non dissimu-lé: ils sont incultes et incapables de donner un sens désintéressé,à leur combat. Leur basse extraction explique non seulement l'échec de leur entreprise, mais aussi la vilenie de leurcaractère:
«£zz e^/ét, ces /zordes "sozz/evées et tzzznzz/tzzezzses n'entreprirent pas /a
•grande cetzvre de /ezzr aj^ranc/zA^emenf
/.../
avec /a /oyazzté piezzse et /'zznz'on/erzne des anciens /i/zéz'atezzz's des WaWsfaetfen /".../C'était
desgens grossiers, ignorants, sans expérience des affaires civi/es, éievés dans de znazzvaises éco/es, se de/zant /es zzns des azztres, de ,/èzz pozzr /ezzrs intérêts personne/s, de g/ace potzr /es intérêts de /a patrie» (éd.
1844, p. 243).
Par ailleurs, les historiens de la République introduisent ou mettent en exergue dans leurs récits un nouveau type de héros. Il s'agit d'un
hom-me qui pourrait profiter des avantages liés à sa naissance ou à la fonc-tion
qu'il
exerce dans la société et qui renonce à ce privilège. Ainsi est illustré aux yeux des enfants le thème del'égalité
devant laloi
et du res-pect quel'on
doit à celle-ci.L'un
de ces personnages, dont parlent Da-guet et Rosier, est le landamann AmBerg, qui vécut à Schwytz auXVIe
siècle.
Il
fut chargé de rendre lajustice contre son proprefils
dans une affaire où laloi
prévoyait la peine de mort :«/"...) A/zziterg ne c/zezrZzrz przs à sozzsZrazre son /z/s rz Zcz sentence; z7 rempZzï conscz'encz'ezzseznenr son ferrz'We nzz'nz'sfère. Maz's, Zcz sentence pro/zoncee, z'Z p/etzre czvec son ,/z7s, pzzz's se retire zzzz c/ztzterzzz so/zYtzzre c/VZzerg efy/znzYsesjrzzzr.? rZrzns Za rZozzZezzr» (A. Daguet, éd. 1868, p.92).
Il
est donc possible de déceler, à lafin
des années soixante, une modi-fication dans la manière dont la deuxième génération de Républicains souhaite présenterl'histoire
aux écoliers. L'image du héros révolté, enlutte pour la liberté, appartient résolument au passé. Les considérations moralisantes qui accompagnaient la relation de son acte dans les ver-sions de
Müller
et Zschokke disparaissent, seule subsiste l'exaltation du courage indomptable de Guillaume Tell. Le projecteur que «manipule»l'historien
tend plutôt à se focaliser sur le membre de la communauté qui se dévoue pour lebien collectif.Winkelried, par exemple, dont nous parlerons plus loin, est
l'un
deces héros.