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Intégration par le travail dans l’aide sociale

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Anne Meier / Kurt Pärli

Intégration par le travail dans l’aide sociale

Incertitudes sur la qualification des rapports juridiques et risques pour les bénéficiaires « activés »

Les rapports juridiques créés lorsqu’une personne au bénéfice de l’aide sociale fournit une prestation de travail dans le cadre d’un programme d’occupation ou d’intégration sont réglés par un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ; la Loi fédérale sur le travail s’applique et une couverture par les assu- rances sociales est garantie. Le besoin de protection accru des bénéficiaires de l’aide sociale est ainsi assuré et combiné avec une véritable intégration : le bé- néficiaire sera en situation de participer e ff ectivement à la vie économique tout en continuant à bénéficier du respect de la dignité humaine et du droit à des conditions de travail justes et équitables.

Catégories d’articles : Contributions

Domaines juridiques : Droit de l’aide sociale

Proposition de citation : Anne Meier / Kurt Pärli, Intégration par le travail dans l’aide sociale, in : Jusletter 3 juin 2019

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Table des matières

I. Introduction

1. L’activation des bénéficiaires de l’aide sociale en Suisse 2. Principe de réciprocité et relations juridiques triangulaires

3. Un besoin de protection accru dans ce « sous-sol » encore mal éclairé 4. Méthodes

II. Nature des rapports juridiques des mesures d’activation 1. Typologie des rapports juridiques

A. Principe : contrats de travail et conditions de travail décentes

B. Cas de figure 1 : le bénéficiaire est engagé par la commune/le canton et y effectue son travail

C. Cas de figure 2 : le bénéficiaire est engagé par la commune/le canton et il est détaché auprès d’un tiers ( « entreprise sociale ») pour effectuer le travail

D. Cas de figure 3 : le bénéficiaire est engagé par un tiers ( « entreprise sociale ») et y effectue un travail qui a une valeur économique

E. Cas de figure 4 : le bénéficiaire est engagé par un tiers ( « entreprise sociale ») et y effectue un travail qui ne peut pas être valorisé économiquement

2. Application du Titre X CO lorsque les conditions de l’art. 319 CO sont remplies 3. Application de la Loi fédérale sur le travail

4. Application de la Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE) 5. Couverture et cotisations aux assurances sociales

6. Questions particulières : durée des mesures et sanctions 7. Conséquences de la qualification comme rapports de travail III. Conclusion et questions ouvertes

I. Introduction

1. L’activation des bénéficiaires de l’aide sociale en Suisse

[Rz 1] L’aide sociale en Suisse a connu, il y a une quinzaine d’années, un changement de para- digme majeur : l’accent se place désormais sur le principe de l’« activation » des bénéficiaires de l’aide sociale. L’activation des bénéficiaires et les programmes d’intégration existaient déjà depuis bien plus longtemps dans certains cantons1. Mais c’est en 2005 que la Conférence suisse des ins- titutions d’action sociale (ci-après : CSIAS) a révisé ses principes directeurs2dans ce sens. Ainsi, la quatrième édition des « Concepts et normes de calcul de l’aide sociale »3consacre l’idée de la réciprocité comme moyen de parvenir au but d’intégration sociale et d’insertion profession- nelle : «L’allocation du minimum social présuppose une participation active de la part du demandeur, définie par les lois cantonales sur l’aide sociale. Les mesures ou les programmes visant l’intégration sociale et/ou l’insertion professionnelle se fondent spécifiquement sur le principe de prestation et contre- prestation : l’exercice d’une activité lucrative ou l’accomplissement d’une prestation visant l’insertion professionnelle et/ou l’intégration sociale sont récompensées par une franchise sur le revenu provenant d’une activité lucrative ou [par] un supplément d’intégration »4.

1 L’organisation de l’aide sociale en Suisse relève de la compétence des cantons (art. 115 de la Consitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. ;RS 101]), sous réserve du minimum prévu à l’art. 12Cst.

2 À consulter sur :https ://www.csias.ch/fr/les-normes-csias/(consulté le 9 mars 2019).

3 Recommandations à l’intention des autorités d’aide sociale des cantons, des communes, de la Confédération et des institutions sociales privées.

4 Normes CSIAS édition 2005, chapitre A.4.

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[Rz 2] L’introduction du principe de réciprocité a entraîné une transformation profonde du fonc- tionnement de l’aide sociale. Les bénéficiaires sont désormais appelés de manière systématique à faire des efforts pour « mériter » l’aide sociale qui leur est octroyée. Il peut s’agir d’efforts d’inté- gration sociale (cours de langue, mise à jour de la situation personnelle et familiale, (re)création de liens sociaux, etc.). Mais il peut également s’agir de viser la (ré)intégration dans le marché primaire du travail, ce qui doit leur permettre de sortir de leur situation de dépendance : les bé- néficiaires de l’aide sociale sont ainsi « activés ». L’activation prend différentes formes : coaching, formations, accompagnement à la recherche d’emploi, conception et réalisation d’un projet pro- fessionnel. L’obligation de fournir une prestation de travail dans un programme d’intégration ou d’occupation, qui nous occupe ici, fait partie des mesures d’activation des bénéficiaires de l’aide sociale.

[Rz 3] Ce sont les programmes dans lesquels le bénéficiaire de l’aide sociale fournit une presta- tion de travail qui font l’objet du présent article. Au cours de cette contribution, nous utilisons systématiquement les termes « programmes d’occupation » pour l’ensemble des programmes et mesures de (ré)intégration auxquels les bénéficiaires de l’aide sociale sont affectés dans les can- tons et communes en Suisse pour y effectuer une prestation de travail.

[Rz 4] Le Tribunal fédéral a régulièrement approuvé le principe d’activation en se fondant sur le principe de subsidiarité de l’aide sociale : celui qui, objectivement, serait en mesure de se procurer les ressources indispensables à sa survie par ses propres moyens – en particulier en acceptant un travail convenable – ne remplit pas les conditions du droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse selon l’art. 12Cst5. Dans le premier arrêt de principe, le Tribunal fédéral a autorisé les cantons à faire de la participation à un programme d’occupation une condition pour bénéficier des prestations sociales, y compris les prestations minimales de l’art. 12Cst: la fourniture d’une aide matérielle peut être assortie de la charge de participer à des mesures d’occupation et d’inté- gration. Le Tribunal fédéral estime, par principe, que ces mesures ou programmes constituent un

« travail convenable », même si le revenu qu’ils procurent n’atteint pas le montant des prestations d’assistance. En cas de refus de participer à des mesures d’occupation et d’intégration qui ga- rantiraient le minimum vital, les prestations (financières) d’assistance peuvent être entièrement suspendues6.

[Rz 5] La jurisprudence, par la suite, a affiné les contours de cette obligation : un « emploi test »7 doit être considéré comme un travail convenable. Si la personne concernée a la possibilité d’inté- grer la place de travail en tout temps et si cette occupation lui assure un revenu minimum d’exis- tence, les prestations d’aide financière peuvent être complètement suspendues pendant toute la durée probable de la mesure8. L’arrêt le plus récent, enfin, précise que les programmes doivent permettre au bénéficiaire de réaliser un revenu au moins équivalent au montant de l’aide d’ur- gence. Si ces conditions sont remplies, le principe de subsidiarité s’applique et toute aide peut être refusée en cas de non-participation à la mesure :« Il serait contraire à l’art. 12Cst. de nier l’aide d’urgence (en tant que droit à des conditions minimales d’existence) en raison d’un refus de par- ticiper à un programme d’occupation, si la participation à ce programme n’était pas rémunérée et si le

5 ATF130 I 71, c. 4.3.

6 ATF130 I 71, c. 5 et 6.

7 Il s’agit desTestarbeitsplätzedu canton de Berne.

8 ATF139 I 218, c. 5.

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principe de subsidiarité ne pouvait donc pas s’appliquer »9 ... sauf en cas d’abus de droit10. Enfin, le Tribunal fédéral autorise à (voire suggère de) punir les « récalcitrants » en fournissant l’aide d’urgence exclusivement en nature ou en les menaçant de la peine prévue à l’art. 292 du Code pénal (CP) (insoumission à une décision de l’autorité)11.

[Rz 6] La jurisprudence du Tribunal fédéral a une influence directe sur la manière dont les can- tons organisent les programmes d’occupation : le principe de subsidiarité est intégré dans toutes les législations cantonales sur l’aide sociale, avec une densité normative plus ou moins impor- tante. Ce principe se traduit en particulier dans les obligations imposées aux bénéficiaires et aux sanctions qui y sont attachées. Par ailleurs, il existe des programmes d’occupation dans tous les cantons. Lorsque la loi ne permet pas explicitement de conditionner l’aide sociale à la participa- tion à un tel programme, cette obligation résulte des directives de l’administration. Enfin, dans tous les cantons, la loi prévoit un système de sanctions en cas de non-participation aux mesures ordonnées, pouvant aller jusqu’à la suppression totale de l’aide sociale en application du principe de subsidiarité12.

2. Principe de réciprocité et relations juridiques triangulaires

[Rz 7] Ce statut relativement nouveau de « bénéficiaire activé » de l’aide sociale crée des situations juridiques nouvelles13. Un modèle qui appartient en principe au marché primaire du travail (le marché libre) est transposé dans le monde de l’aide sociale : le bénéficiaire fournit une prestation de travail en échange de laquelle il touche une rémunération. En pratique, dite rémunération prend des formes variées : dans certains cas, un salaire est versé (parfois appelé « salaire social », Soziallohn). Dans d’autres cas, le bénéficiaire qui travaille reçoit un supplément financier à l’aide sociale de base, dit « supplément d’intégration » (Integrationszulage). D’autres fois encore, c’est toute l’aide sociale qui est fournie en échange du travail, en ce sens que si le bénéficiaire refuse de travailler, l’aide sera supprimée, en application du principe de subsidiarité de l’aide sociale ; devrait en principe être réservé le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse (art. 12 Cst.)14.

[Rz 8] Or, on le sait, le marché primaire du travail est caractérisé par les principes de la liberté contractuelle (art. 19 al. 1CO) et de la liberté économique (art. 27Cst.) : le salarié peut décider de se mettre au service d’un employeur qu’il aura librement choisi. Il a le pouvoir de négocier

9 ATF142 I 1, c. 7 (traduction libre).

10 ATF142 I 1, c. 7.2.5. La question de l’abus de droit a, jusqu’à présent, toujours été laissée ouverte dans la jurispru- dence fédérale.

11 ATF142 I 1, c. 7.2.5. Pour une critique de cette jurisprudence, voir notammentAnne Meier/Melanie Studer, Commentaire de l’ATF 142 I 1, in : Jusletter 14 novembre 2016, Rz. 1–18 ;Melanie Studer/Kurt Pärli, BGE 142 I 1 : Sozialhilferechtliche Beschäftigungsprogramme zwischen Existenzsicherung, Subsidiarität, Zumutbarkeit und Sanktion, PJA/AJP 10/2016, pp. 1385–1394.

12 Ces données font partie des nombreux résultats d’une recherche approfondie menée dans le cadre du projet de re- cherche financé par le FNS «Travailler dans les conditions de l’aide sociale : cadre juridique, cas d’espèce et lacunes réglementaires» (plus d’informations sur :https ://thirdlabourmarket.ius.unibas.ch/fr/). La méthode suivie est expliquée brièvement ci-dessous. L’analyse détaillée des résultats fera l’objet d’une publication séparée.

13 Sur ces questions déjà, voirKurt Pärli, Sozialhilfeunterstützung als Anreiz für Gegenleistungen, in : SozialAktuell, SBS/ASPAS, Nr. 21, décembre 2001, pp. 17 ss.

14 Voir à ce propos les arrêts de principe du Tribunal fédéral : ATF130 I 71, c. 4.3, c. 5 et 6 ; ATF139 I 218, c. 5 ; ATF 142 I 1, c. 7. Sur les limites de ces pratiques et leur rapport avec l’art. 12Cst., voir les contributions citées ci-dessus (ndp 11).

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(individuellement ou collectivement) ses conditions de travail et sa rémunération. Cependant, le rapport de subordination et de dépendance créent un déséquilibre intrinsèque à la relation de travail. Le constituant l’a reconnu : la protection du salarié est l’un des buts essentiels du droit du travail15. La loi intervient pour rectifier l’inégalité entre les parties au contrat, par le biais du droit public du travail (en particulier, règles sur la protection de la santé et de la sécurité), du droit privé (règles du Titre X du Code des obligations, en particulier les normes impératives et semi-impératives, art. 361 et 362CO) et en autorisant et en favorisant la négociation collective (art. 28Cst. et art. 356 ssCOen particulier).

[Rz 9] Dans l’aide sociale, l’échange entre la prestation de travail et la « rémunération sociale » ne repose pas toujours sur une base volontaire : l’exigence d’intégration par le travail se fait sous la menace de sanctions visant à réduire ou à supprimer, même temporairement, la part financière de l’aide sociale.

[Rz 10] De plus, les relations juridiques dans ce schéma d’activation sont fréquemment trian- gulaires : l’État verse l’aide sociale (voire le salaire), ordonne la participation à un programme d’occupation et prononce les éventuelles sanctions. Le bénéficiaire indigent reçoit l’aide sociale et se soumet aux injonctions de l’autorité. Enfin, le programme d’occupation dans lequel le bénéfi- ciaire déploie son activité est souvent géré par un organisme tiers : il peut s’agir d’une association ou d’une fondation à but non lucratif, subventionnée ou non par l’État, ou d’une « entreprise sociale ». Cette entité a le pouvoir de donner des instructions au bénéficiaire de l’aide sociale et de le surveiller ; elle transmet également des informations au service social sur le comportement, la ponctualité, l’attitude du bénéficiaire. Ces informations peuvent conduire le service social à prononcer des sanctions contre le bénéficiaire. De tels rapports juridiques triangulaires ne sont pas inconnus de l’ordre juridique suisse : dans le marché primaire du travail, ils font l’objet de la Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE)16.

[Rz 11] Dans l’aide sociale, cette triangulation rend les rapports juridiques particulièrement com- plexes. Elle soumet le bénéficiaire de l’aide sociale à un double rapport de subordination, puis- qu’il doit obéir à la fois à l’État et à son employeur. Le rapport de subordination et de dépendance est donc exacerbé en comparaison avec le travail dans le marché primaire.

[Rz 12] Ces éléments ajoutent à la vulnérabilité des bénéficiaires de l’aide sociale. L’aide sociale représente le tout dernier filet de sécurité de notre État social. S’il est réduit ou supprimé, il n’existe aucun autre recours. Dès lors, il se justifie de se demander dans quelle mesure les bénéfi- ciaires « activés », s’ils ont certes des obligations envers l’État et envers la société, ne doivent pas également pouvoir bénéficier de certains droits, en particulier lorsqu’on exige d’eux qu’ils tra- vaillent pour « mériter » leur aide sociale. La dignité humaine doit être protégée et respectée ; il s’agit d’un droit fondamental consacré à l’art. 7Cst., dont sont aussi titulaires les bénéficiaires de l’aide sociale. Le respect de la dignité humaine est d’ailleurs l’un des fondements des prestations de l’aide sociale et surtout de l’art. 12Cst.17.

15 Art. 110 al. 1 let. aCst.

16 Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989, (LSE ;RS823.11).

17 ATF121 I 367E. 2b.

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3. Un besoin de protection accru dans ce « sous-sol » encore mal éclairé

[Rz 13] La (ré)intégration dans le marché primaire du travail est un but non seulement dans l’aide sociale, mais également dans l’assurance-chômage18et dans l’assurance-invalidité (ci-après : AI)19. La (ré)intégration répond en réalité aux principes directeurs du droit suisse de la sécurité so- ciale que sont – à côté du principe de solidarité – la subsidiarité et la responsabilité individuelle.

L’obligation de l’assuré de diminuer son dommage et l’obligation d’entreprendre une tâche ou de prendre des mesures convenables (l’intraduisibleZumutbarkeit)20peut conduire l’assuré à accep- ter un emploi ou à se soumettre à des mesures de réadaptation.

[Rz 14] La mise en place du principe d’intégration dans l’assurance-chômage et dans l’AI a fait l’objet de débats politiques virulents, d’une codification légale et d’une jurisprudence abondante21 et ont provoqué la création de ce qui est communément appelé le « second marché du travail ».

[Rz 15] Ainsi, la question du statut des assurés « activés » s’est posée déjà dans les années 1990 dans le cadre de l’assurance-chômage. Le but de l’assurance-chômage, tel qu’exprimé dans la loi depuis 2002, vise à «prévenir le chômage imminent, à combattre le chômage existant et à favoriser l’intégration rapide et durable des assurés dans le marché du travail» (art. 1aal. 2LACI). L’un des moyens pour réaliser ces objectifs est la mise en place de «mesures relatives au marché du travail» (MMT), ancrées aux art. 59 ss de la loi et 81 ss de l’ordonnance22. La loi prévoit des mesures de formation (art. 60LACI), des mesures d’emploi (art. 64a et 64b LACI), dont les « PET » (pro- grammes d’emploi temporaires)23, et des mesures spécifiques (art. 65 à 71dLACI). Les PET et les allocations d’initiation au travail (AIT) (une catégorie de « mesures spécifiques ») retiendront notre attention au cours de la présente contribution.

[Rz 16] Quant à l’assurance-invalidité, elle a fait de l’intégration un de ses buts depuis sa créa- tion, suivant l’expression « la réinsertion plutôt que la rente » (Eingliederung vor Rente)24.Parmi les mesures de réadaptation25, on trouve des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation

18 Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982, (LACI ; RS837.0). La deuxième révision de la loi a été adoptée le 23 juin 1995 et est entrée en vigueur par étapes en 1996, 1997 et 1998.Boris Rubinnote, à propos de cette révision, qu’elle a « profondément modifié la philosophie du sys- tème d’assurance-chômage. [...] Les principales innovations, à savoir la création des ORP et l’extension de l’obliga- tion de participer à des mesures de marché du travail, ont été proposées par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national [...] » (Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, Genève, Zurich et Bâle 2014, Introduction,n. 72).

19 Voir les arrêts de principe ATF113 V 22,118 V 206,134 I 105et135 I 116.Kurt Pärli, Grundrechtliche Schranken der Pflicht zur Selbsteingliederung in der Invaliden-versicherung, in : HAVE 3 (2009) 260 ss. etKurt Pärli, Grund- rechtliche Schranken des aktivierenden Sozialstaates, in : SozialAktuell 6 (2009) 29 ss.

20 Sur ce principe, voir pour tous les autres :Thomas Gächter,Grundstrukturen des schweizerischen Rechts der Sozialen Sicherheit, ZSR 133 (2014) pp. 50–70.

21 Nous nous référons ci-après aux dispositions légales et aux arrêts pertinents pour l’analyse qui nous occupe.

22 Pour un aperçu de l’évolution historique de ces mesures dans l’assurance-chômage depuis leur introduction dans l’ancienne loi sur l’assurance-chômage déjà, cf.Rubin(ndp 18), ad art. 59 n. 2–4. Sur ces notions, voir également Pierre-Yves Carnal, L’organisation de l’assurance-chômage en Suisse in : SZS/RSAS 2017 p. 385 (398 ss).

23 Les « semestres de motivation » destinés aux assurés cherchant une place de formation au terme de leur scolarité obligatoire font également partie de cette catégorie de mesures. Ces dernières ne sont pas traitées dans la présente contribution, car elles concernent une population très spécifique qui ne fait pas directement l’objet de notre re- cherche.

24 Kurt Pärli,Edgar Imhof,Ellen Lauper, Wirksamkeit und Wirkung ausgewählter Massnahmen im Rahmen der fünften IV-Revision, Kurzstudie im Auftrag von AGILE Behinderten-Selbsthilfe Schweiz, Olten August 2005 ; Kurt Pärli,Jürg Guggisberg,Julia Hug, Wie gelingt berufliche Eingliederung ? Erkenntnisse aus der SNF-Studie

« Berufliche Eingliederung von Personen mit länger andauernder Arbeitsunfähigkeit », in :Ueli Kieser/Miriam Lendfers, JaSo 2014, Jahrbuch zum Sozialversicherungsrecht, St. Gallen 2014, pp. 137 ss.

25 Ces mesures sont énumérées de façon exhaustive à l’art. 8 al. 3LAI.

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professionnelle et des mesures d’ordre professionnel (orientation professionnelle, formation pro- fessionnelle initiale, reclassement, placement, aide en capital). Vu l’objet de la présente contri- bution, nous nous intéresserons ici uniquement aux mesures qui impliquent une prestation de travail de l’assuré ; celles qui créent une relation triangulaire (assuré – assurance – employeur) seront d’un intérêt particulier26. Notre attention se portera donc sur les art. 18aet 18bLAI, en- trés en vigueur le 1erjanvier 2012 (5erévision A de l’AI) : le placement à l’essai et les allocations d’initiation au travail.

[Rz 17] Si ces deux systèmes ne sont pas à l’abri de critiques27, force est de reconnaître qu’ils ont fait l’objet de débats publics et politiques et qu’ils ont été codifiés par le législateur.Rubin souligne que «la participation aux mesures de marché du travail peut être souhaitée par les chômeurs ou au contraire subie, dans le cadre d’assignation contre la volonté des assurés concernés. [...] L’assigna- tion de mesures, par l’ORP, donne lieu également à beaucoup de litiges consécutivement aux sanctions prononcées en cas de refus desdites mesures»28. Dans le cadre de l’aide sociale en revanche, le débat politique n’a pas eu lieu à la même échelle, le cadre légal reste relativement peu développé et la jurisprudence rare.

[Rz 18] En effet, les programmes d’occupation dans le contexte de l’aide sociale se trouvent en- core aujourd’hui dans une zone où les règles applicables et les droits des personnes concernées sont souvent plongées dans l’obscurité : si le marché primaire du travail peut être considéré, en quelque sorte, comme le premier étage de la maison, où les conditions de travail sont en principe décentes, le second marché du travail, lui, peut représenter le rez-de-chaussée. Quant au niveau auquel les bénéficiaires de l’aide sociale travaillent, il s’apparente au sous-sol, qui reste à l’heure qu’il est mal éclairé et peu confortable.

[Rz 19] Les causes de cette semi-obscurité sont multiples. L’organisation de l’aide sociale en Suisse relève de la compétence des cantons et les programmes d’occupation et d’intégration des béné- ficiaires de l’aide sociale présentent une réalité pratique et juridique incroyablement diversifiée.

Le débat politique dans les cantons se situe essentiellement au niveau des coûts de l’aide sociale, sans nécessairement dépasser le seul principe de l’obligation d’intégration et de l’occupation des bénéficiaires de l’aide sociale.

[Rz 20] Peu de lois cantonales règlent les droits et obligations des bénéficiaires activés. Jurispru- dence et doctrine ne se sont, pour l’heure, que peu penchées sur ces programmes29. En particulier, la question de la qualification juridique des rapports qu’ils créent et des conditions de travail des bénéficiaires de l’aide sociale n’est presque jamais traitée. Ainsi, le Tribunal fédéral se contente

26 Voir à ce sujet :Fabio Bertozzi/Giuliano Bonoli/Fiona Ross, The Swiss Road to Activation : Legal Aspects, Imple- mentation and Outcomes, in : Bringing the jobless into work ?, Berlin 2008, S. 130.

27 Voir notamment les références ci-dessus (ndp 24) et les nombreuses références citées.

28 Rubin(ndp 18), ad art. 59 n. 5.

29 Cf. les arrêts de principe du Tribunal fédéral, rappelés ci-dessus (nbp. 5). Pour la doctrine en Suisse, il faut citer en particulier les travaux du Prof.Jean-Michel Bonvin(UNIGE) :https ://www.unige.ch/sciences-societe/ideso/

membres/bonvin/et ceux du Prof.Giuliano Bonoli(UNIL/IDHEAP) :https ://www.unil.ch/idheap/home/

menuinst/unitescompetences/politiques-sociales/publications.html. Voir également :Johann-Jakob Chervet, Staatliche Beschäftigungsprogramme für Nothilfe-Bezieher : Zwangsarbeit oder berechtigte Hilfe zur Selbsthilfe ?, pp. 24–27 etBernhard Waldmann, Das Recht auf Nothilfe zwischen Solidarität und Eigenverantwortung, pp. 341–368. Au niveau international, les programmes d’occupation ont fait l’objet de nombreuses contributions.

On citera, parmi d’autres : le rapport final du « Welfare Conditionality Project » (2013–2018) de l’Economic and Social Research Council de l’Université de York (Royaume-Uni) :http ://www.welfareconditionality.ac.uk, ainsi que les publications de la Prof.Elise Dermine(Université libre de Bruxelles) :http ://droit-public.ulb.ac.be/

member/elise-dermine/et celles d’Anja Eleveld(Vrije Universiteit Amsterdam) : https ://research.vu.nl/en/persons/anja-eleveld/publications/.

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de poser le principe selon lequel la participation à des programmes d’occupation dont le but est l’intégration dans le premier marché du travail peuvent être imposés aux bénéficiaires de l’aide sociale. Il se dispense toutefois systématiquement d’en examiner les conditions concrètes, notam- ment sous l’angle du besoin de protection du bénéficiaire de l’aide sociale (conditions de travail, protection de la santé et de la personnalité, impact des sanctions, etc.)30.

[Rz 21] On est ici bien loin des rapports de travail dans le premier marché du travail, où la loi protège le salarié sous différents angles : on pense en particulier à la protection de la santé, de la sécurité et de la personnalité ; au droit au salaire convenu, usuel ou fixé par une convention collective ; à l’interdiction de la discrimination ; à la protection contre les congés abusifs ou injus- tifiés ; au droit au salaire pendant une incapacité de travail ; au droit au repos et aux vacances ; aux règles sur le temps de travail. Les cotisations versées aux différentes assurances sociales consti- tuent également un aspect important du besoin de protection en cas de risques d’incapacité de travail (maladie ou accident en particulier), de chômage, d’invalidité, de vieillesse, de décès.

[Rz 22] La présente contribution cherche à allumer une ampoule pour éclairer ce sous-sol encore peu exploré : dans quelles conditions les bénéficiaires de l’aide sociale travaillent-ils ? Comment sont réglées les relations contractuelles entre le bénéficiaire, l’autorité et l’entreprise où s’exerce le travail ? Ces rapports sont-ils des contrats de travail au sens des art. 319 ssCO? Quelles règles protectrices du droit du travail (par exemple, les normes de droit public figurant dans la LTr) s’appliquent ? Le placement de bénéficiaires de l’aide sociale dans des programmes d’occupation gérés par des tiers constitue-t-il de la location de services ? Quelles mesures sont mises en place pour prendre en compte le double rapport de subordination dans lequel se trouve le bénéficiaire qui est mis au travail ? Son besoin de protection est-il pris en compte ou passe-t-il au second degré, derrière sa nécessaire « activation » ? Comment sont réglées les questions relatives à la responsabilité des différents acteurs de ce triangle ? Quelles sont les juridictions compétentes pour trancher des litiges, notamment ceux liés aux sanctions que risquent les bénéficiaires en cas de refus de participer à un programme ou lorsque leur comportement n’est pas jugé « conforme » ? [Rz 23] La qualification des montants versés aux bénéficiaires de l’aide sociale dans le cadre de programmes d’occupation a parfois été abordée sous l’angle de la Loi fédérale sur la compétence en matière d’assistance des personnes dans le besoin (LAS)31. Toutefois, le but de la LAS est de déterminer le canton compétent pour assister une personne dans le besoin qui séjourne en Suisse (art. 1LAS). On ne voit pas que la qualification des diverses prestations d’aide sociale au sens de cette loi pourrait influencer la qualification du contrat en droit privé (art. 319 ssCO) et celle des revenus en matière d’assurances sociales.

30 Voir en particulier ATF142 I 1et ATF130 I 71, E. 5.4. Pourtant, plusieurs études portant sur l’eet des mesures d’occupation ne permettent pas de justifier une position aussi générale. Voir parmi d’autres :Daniel Aeppli/ Thomas Ragni, Ist Erwerbsarbeit für Sozialhilfebezüger ein Privileg ? (Seco Publikation Arbeitsmarktpolitik No.

28), Berne 2009 ;Giuliano Bonoli/Cyrielle Champion, Federalism and Welfare to Work in : Switzerland : The Development of Active Social Policies in a Fragmented Welfare State, in Publius : The Journal of Federalism 45 (1) 2014, pp. 77–98.

31 Loi fédérale en matière d’assurances sociales du 24 juin 1977 (LAS ;RS851.1). La question peut se poser de savoir si les « salaires sociaux » et autres formes de rémunérations versées dans le cadre des programmes d’occupation sont des « prestations d’assistance » au sens de l’art. 3LAS, ce qui influence en particulier l’obligation du canton de domicile de rembourser les frais au canton de séjour (art. 14LAS). Voir à ce sujet les opinions divergentes de Kurt Pärli(article de 2001 cité sous ndp 11 ci-dessus) et dePeter Stadler,Fürsorgeleistungen sind kein Lohn – Rechtsfragen bei Massnahmen zur sozialen und beruflichen Integration,in ZESO (Zeitschrift für Sozialhilfe) 2/2002 p. 26.

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[Rz 24] Par la présente contribution, les auteur-e-s espèrent donner une base de réflexion permet- tant l’établissement de standards minimaux en la matière. Ces standards minimaux sont à mettre en œuvre à travers la CSIAS et visent à poser un cadre réglementaire dans chaque canton qui soit cohérent avec les autres politiques d’intégration et qui respecte le droit fédéral.

4. Méthodes

[Rz 25] Notre contribution se base sur les sources usuelles en matière d’analyse juridique (loi, jurisprudence, doctrine). La jurisprudence du Tribunal fédéral restant rare sur cette question, notre équipe de recherche a recensé la jurisprudence publiée pour chaque canton suisse depuis 2005 sur la question des mesures d’intégration dans le cadre de l’aide sociale32. Par ailleurs, les auteur-e-s de la présente contribution ont déjà analysé cette problématique sous l’angle des assurances sociales33et nous nous y référerons en tant que de besoin.

[Rz 26] L’analyse tient également compte des premiers résultats de la recherche menée en ap- plication des méthodes de sciences sociales dans le cadre du projet de recherche mentionné ci- dessus34 : en particulier, les résultats d’un questionnaire rempli par tous les cantons35 pour dé- terminer l’ampleur concrète des relations de travail dans le cadre de l’aide sociale, leur cadre juridique et la diversité des situations pratiques ; nous prendrons également en compte les pre- miers résultats des enquêtes approfondies menées dans trois cantons36.

[Rz 27] Notre faisceau lumineux se laissera guider par la réglementation en vigueur au « premier étage » et au « rez-de-chaussée ». Ce faisant, il ne paraît pas inutile de garder en tête que l’aide so- ciale représente l’ultime filet social de notre société. Ainsi, lorsqu’un salarié, par hypothèse, ne se comporte pas de la manière qui est attendue de lui, l’employeur dispose d’un arsenal de sanctions clair et codifié37. S’il perd son travail, le salarié ira pointer au chômage ou recevra le cas échéant des prestations d’assurance, par exemple celles de l’AI. A son tour, le chômeur sanctionné par l’assurance peut se reposer sur un éventuel petit pécule mis de côté pour des périodes difficiles ; il dispose toujours du recours (même temporaire) à l’aide sociale, s’il en remplit les conditions. Le bénéficiaire de l’aide sociale, lui, a dû se défaire de ce pécule38; il n’a plus accès aux prestations

32 Un document consolidé de cette jurisprudence sera mis à disposition du public et une analyse fera l’objet d’une publication séparée.

33 Anne Meier/Kurt Pärli, Sozialversicherungsrechtliche Fragen bei Beschäftigungsverhältnissen unter sozialhilfe- rechtlichen Bedingungen, SZS 1/2018, 4–39.

34 Cf. note de bas de page 11.

35 À l’exception de Thurgovie.

36 À savoir Uri, Berne et Vaud. Nous avons choisi des cantons aussi diérents que possible ; parmi les critères de choix figuraient notamment : la taille du canton ; canton urbain et/ou rural ; le taux d’aide sociale ; la densité normative de la loi sur l’aide sociale et de ses réglementations annexes ; la répartition des compétences entre canton et com- munes ; régions linguistiques.

37 L’employeur ne dispose d’aucun pouvoir disciplinaire dans le cadre du contrat de travail ; les sanctions pour viola- tion du contrat sont la réparation du dommage (art. 321eCO) et le licenciement. Cf. ATF119 II 162, c. 2 ; le retrait de la gratification est également mentionné comme une sanction possible (Adrian Staehelin, Art. 319–330a OR.

Der Arbeitsvertrag (zit. als ZK-Staehlin, in :Gauch/Schmid (édit.), Zürcher Kommentar V/2/c, 4eéd., Zurich 2006, ad art. 321d n. 23). Aux termes du même arrêt, l’employeur a toutefois le droit, à certaines conditions, de prévoir un régime de sanctions propres à son entreprise (Bertiebjustiz),y compris des amendes.

38 La CSIAS recommande de laisser à la libre disposition d’un bénéficiaire seul un montant de fortune de CHF 4’000.- ; CHF 8’000.- pour les couples et CHF 2’000.- pour chaque enfant mineur, mais au maximum CHF 10’000.- par famille (recommandations, E.2.1).

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d’assurance, quelles qu’elles soient. Sa situation de dépendance est totale et il ne dispose d’aucun

« ultime recours ».

II. Nature des rapports juridiques des mesures d’activation 1. Typologie des rapports juridiques

[Rz 28] Le rapport juridique du bénéficiaire de l’aide sociale avec l’État est de droit administratif : il est réglé intégralement par le droit public cantonal, voire communal. Lorsque l’Etat décide d’as- signer le bénéficiaire à un programme d’occupation ou d’insertion, le travail peut s’organiser en fonction de différents scénarios. La qualification juridique peut varier en fonction de la manière dont les rapports sont organisés. Nous en présentons ci-dessous les principales variantes.

A. Principe : contrats de travail et conditions de travail décentes

[Rz 29] En 1994, la Conférence suisse des institutions d’assistance publique (CSIAP) – l’ancêtre de la CSIAS – émettait des recommandations sur la manière dont les prestations de travail des bénéficiaires de l’aide sociale dans le cadre de programmes d’occupation devaient être réglées : ces prestations devaient faire l’objet d’un contrat de travail ; les personnes devaient bénéficier d’une couverture d’assurance ; et le salaire devait se monter entre CHF 15.- et CHF 31.- par heure39. [Rz 30] Les recommandations prévoyaient également une liste de critères servant à déterminer si un programme d’occupation en particulier permettait d’atteindre le but d’intégration. De plus, des tâches raisonnables devaient être confiées aux personnes en fonction de leurs capacités ; il convenait de privilégier la communication interinstitutionnelle, mais également les contacts avec les associations économiques et les syndicats ; le participant devait bénéficier d’un contrat de travail et d’un salaire décent. Le risque de dumping salarial par rapport au marché primaire était souligné40.

[Rz 31] Une tabelle des salaires bruts était jointe aux recommandations : ces derniers étaient clairement basés sur les salaires du marché primaire : les salaires, payables 13 fois l’an, allaient de CHF 2’200.-41à CHF 4’500.-42en fonction des qualifications professionnelles43. Il devait ainsi s’agir de mettre en pratique la devise « salaire social plutôt que rente sociale » (Soziallohn statt Sozialrente)44.

[Rz 32] A notre avis, il n’existe aujourd’hui aucune raison de s’écarter de ces recommandations.

Elles sont claires, fondées juridiquement et remplissent efficacement leur double fonction : proté- ger les bénéficiaires vulnérables et assurer leur « activation » par le travail en vue d’une (ré)inté- gration dans le marché primaire du travail.

39 Claudia Hänzi, Die Richtlinien der schweizerischen Konferenz für Sozialhilfe. Entwicklung, Bedeutung und Um- setzung der Richtlinien in den deutschsprachigen Kantonen der Schweiz, thèse, Bâle 2011, p. 238 ss et annexe 19.

40 Hänzi(ndp 39), p. 239.

41 Soit CHF 2’512.- en 2018, compte tenu du renchérissement (pour le calcul :http ://www.portal-stat.admin.ch/

lik_rechner/f/lik_rechner.htm, consulté le 28 mars 2019).

42 Soit CHF 5’138.- en 2018.

43 Hänzi(ndp 39), p. 239.

44 Ibid.

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[Rz 33] Malheureusement, comme le montreront plusieurs exemples au cours de cette contribu- tion, les législations cantonales et la pratique se sont souvent écartées de ces recommandations.

Clarté, sécurité juridique et protection des personnes vulnérables sont ainsi menacées.

B. Cas de figure 1 : le bénéficiaire est engagé par la commune/le canton et y effectue son travail

[Rz 34] Dans ce cas, les rapports de travail peuvent être réglés par le droit de la fonction publique applicable à la collectivité publique concernée. L’engagement de personnel par l’administration peut également avoir lieu sur la base des art. 319 ssCOlorsqu’une base légale le permet.

[Rz 35] Si l’activité déployée s’apparente plus à une occupation à laquelle on ne peut attribuer de valeur économique, on peut considérer que le rapport de droit administratif existant est main- tenu, l’État pouvant imposer des conditions lorsqu’il sert une prestation, dans les limites de la loi.

C. Cas de figure 2 : le bénéficiaire est engagé par la commune/le canton et il est détaché auprès d’un tiers ( « entreprise sociale ») pour effectuer le travail

[Rz 36] Dans cette relation triangulaire, les rapports entre le service social et le tiers sont réglés en principe par un contrat de droit administratif, par exemple un contrat de prestations avec ou sans subventionnement. Il peut arriver que les rapports soient de droit privé, réglés par un contrat de mandat. La question de l’application de la LSE se pose ici. En principe, l’activité de placement de personnel et/ou de location de services exercée par l’État n’est pas effectuée contre rémunération, ce qui exclut l’application de la LSE (cf. art. 2 et 12LSE) ; une application par analogie pourrait être envisagée.

[Rz 37] La relation juridique entre le bénéficiaire et le tiers, comme c’est le cas lorsque la LSE s’applique, n’est pas réglée par un contrat. Certains droits et obligations de l’employeur sont en revanche exercés directement par le tiers, en particulier le droit de donner des directives au salarié (art. 321dCO) et l’obligation de protéger sa personnalité (art. 328CO).

D. Cas de figure 3 : le bénéficiaire est engagé par un tiers ( « entreprise sociale ») et y effectue un travail qui a une valeur économique

[Rz 38] Dans ce cas, le rapport juridique entre le tiers et le bénéficiaire est en principe réglé par un contrat de travail au sens des art. 319 ssCO.

[Rz 39] Entre le tiers et le service social, on retrouve un contrat de prestations avec ou sans sub- ventionnement ou un contrat de droit privé, en fonction de ce que prévoit le droit cantonal.

E. Cas de figure 4 : le bénéficiaire est engagé par un tiers ( « entreprise sociale ») et y effectue un travail qui ne peut pas être valorisé économiquement

[Rz 40] Si l’activité n’a pas de but économique (même minime), on ne peut pas considérer qu’il existe un contrat de travail au sens de l’art. 319CO. Dans ce cas, il existera vraisemblablement un contrat de mandat ou un contratsui generisqui comportera l’application par analogie de certaines dispositions du contrat de travail (on pense en particulier à l’art. 328 CO). La situation n’est

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toutefois pas comparable à celle du placement à l’essai dans l’assurance-invalidité (art. 18aLAI), le législateur ayant, dans ce dernier cas, créé un nouveau type de contrat.

2. Application du Titre X CO lorsque les conditions de l’art. 319 CO sont remplies

[Rz 41] Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (salaire aux pièces ou à la tâche)45. Le contrat de travail est synallagma- tique et se conçoit comme un rapport d’échange de prestations entre le travailleur et l’employeur, soit le travail contre le salaire46. Il n’est en principe soumis à aucune forme particulière47et peut ainsi être conclu de façon orale, tacite ou par actes concluants.

[Rz 42] Lorsque les quatre conditions sont remplies (prestation de travail, durée, subordination et salaire), le contrat de travail existe même si les parties l’ont qualifié différemment. En effet, la qualification de contrat de travail a un caractère impératif : les parties ne pouvant déroger aux règles impératives (droit public et art. 361CO) et semi-impératives (art. 362CO), elles ne sauraienta fortioridécider de soustraire leur relation au droit du travail lorsque le contrat qu’elles ont conclu répond aux critères objectifs de l’art. 319CO48.

[Rz 43] Il n’est pas difficile, en pratique, de trouver plusieurs exemples de mesures d’insertion et programmes d’occupation impliquant une prestation de travail du bénéficiaire de l’aide sociale qui impliquent la conclusion d’un contrat de travail au sens des art. 319 ssCO.

[Rz 44] Ainsi, c’est la voie suivie par le canton de Bâle-Ville. Laloi sur l’aide socialeprévoit, à son

§13 al. 4, la règle suivante : lorsque le service de l’aide sociale occupe à court terme des bénéfi- ciaires dans une entreprise, sans que des contrats de travail ne soient conclus, il en est lui-même l’employeur. Dans ces cas, il conclut un contrat avec la personne à placer, dans lequel la presta- tion, la contre-prestation et la durée de la mesure sont décrites. Il doit réclamer à l’entreprise une rémunération conforme aux usages du lieu et de la branche, en tenant compte de la capacité de travail49.

[Rz 45] De nombreuses mesures dans le canton de Vaud répondent également à ces critères. Nous en avons choisi deux50:

45 Art. 319 al. 1CO.

46 Voir, pour tous les autres : ZK-Staehelin(ndp 37), ad art. 319 n. 2.

47 Art. 320 al. 1CO.

48 Voir notamment l’arrêt du Tribunal fédéral4C.276/2006du 25 janvier 2007, c. 3 et les références ; pour tous les autres :Aubert Gabriel, in : Werro Franz/Thevenoz Luc (édit.), Commentaire romand Code des obligations I, 2e éd., Bâle 2012, ad art. 319 n. 23.

49 Traduction libre du §13 al. 4 duSozialhilfegesetzdu canton de Bâle-Ville du 29 juin 2000 (RS-BS890.100) : « Wenn die Sozialhilfe unterstützungsberechtigte Personen kurzfristig in einem Einsatzbetrieb beschäftigt, ohne dass mit diesem Arbeitsverträge abgeschlossen werden, tritt sie selber als Arbeitgeberin auf. Sie schliesst in diesen Fällen mit der einzusetzenden Person einen Vertrag ab. Darin werden Leistung, Gegenleistung und Dauer umschrieben.

Vom Einsatzbetrieb hat sie eine Vergütung zu verlangen, die den orts-und berufsüblichen Lohnansätzen unter Berücksichtigung der Leistungsfähigkeit entspricht ».

50 Le canton de Vaud dispose d’un catalogue de mesures d’insertion sociale (ci-après : MIS) très étendu : son édition 2018 en contient pas loin de 60, réparties en 8 catégories distinctes : MIS socio-professionnelles ; MIS familles ; MIS préparation à la transition ; MIS de transition ; MIS capacités de base ; MIS préservation de la situation écono- mique ; MIS « bas seuil » ; projets spécifiques.

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• « Pro-Log Emploi » : par cette mesure, les bénéficiaires du revenu d’insertion51sont placés, par le biais d’un contrat de travail de droit privé de durée déterminée de dix mois, dans une institution du domaine santé/social (subventionnée par l’État). Le but principal de cette mesure est de placer le bénéficiaire dans un emploi durable dans le secteur santé/social. Ici, le bénéficiaire de l’aide sociale est donc au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art.

319 ssCO; le salaire s’élève à CHF 3’748.- par mois ; la convention collective est applicable.

• « Macadam » : cette mesure propose à des personnes « en marge du marché du travail » de ré-expérimenter la mise en activité en donnant des « coups de main » aux clients de la Fon- dation partenaire, par exemple pour un déménagement, du nettoyage, jardinage, bricolage, etc. Le recrutement des candidats se fait essentiellement par un bus présent sur la Place de la Riponne à Lausanne, où les personnes intéressées peuvent s’inscrire. Trois seuils sont disponibles : inscription pour un petit job de quelques heures (seuil 1) ; suivi social plus conséquent et engagement par un contrat de travail de 6 mois conclu avec la fondation, avec des missions qui ont lieu une à deux fois par semaine (seuil 2) ; adaptation du travail en lien avec un projet personnel, suivi social plus conséquent et contact avec l’assistant so- cial obligatoire (seuil 3). Le passage de seuil en seuil est possible dans les deux sens. Toutes les personnes qui participent à ce projet en travaillant sont « déclarées, assurées, rémuné- rées et reçoivent un décompte mensuel ». Le salaire net est de CHF 18.- par heure travaillée.

Le salaire touché est soumis à la franchise sur salaire : les participants peuvent donc garder la moitié de leur revenu, mais au maximum CHF 200.- ou 400.- par mois (art. 25RLASV52).

Un habit de travail et des chaussures sont fournis pour les seuils 2 et 3. Ici, on se trouve donc également dans un rapport de travail au sens des art. 319 ssCO, sans équivoque.

[Rz 46] La situation est moins claire à Neuchâtel, où laloi sur l’action sociale53parle de « contrats d’insertion » conclus en vue de la participation à une mesure d’insertion, contrats auxquels elle consacre un chapitre entier (art. 53 à 60). Toutefois, la loi ne précise pas la nature de ces contrats.

On cherchera vainement, dans les directives ou la jurisprudence, des indices sur ce point. A Neu- châtel, ce n’est pas un salaire qui vient rémunérer le travail dans les programmes d’occupation, mais l’octroi d’un supplément d’intégration non remboursable (art. 56 de la loi). Les travaux parlementaires, eux, avaient clairement identifié la notion d’échange entre la prestation fournie par le bénéficiaire et l’octroi du supplément d’intégration54. Le caractère non remboursable du supplément d’intégration visait à reconnaître l’effort fourni par le bénéficiaire (le mot « travail » n’est toutefois pas prononcé), même si la prestation n’était pas rentabilisée économiquement. Par ailleurs, suivant l’entrée en vigueur du salaire minimum neuchâtelois, la loi réserve au Conseil d’État le droit d’« édicter des dérogations pour des rapports de travail particuliers, tels que ceux

51 Dans le canton de Vaud, la part financière de l’aide sociale s’appelle « revenu d’insertion » (ci-après : RI) ; il n’est pas remboursable. Le RI comprend une prestation financière et peut, cas échéant, également comprendre des pres- tations sous forme de mesures d’insertion sociale ou professionnelle (art. 27 de la Loi sur l’action sociale vaudoise du 2 décembre 2003 [LASV ;RS-VD 850.051). Par ailleurs, des mesures d’encadrement favorisant l’entrée et le maintien en formation ou en emploi peuvent également être financées au titre de la « prévention sociale » (art. 20 LASV).

52 Règlement d’application de la loi du 2 décembre 2003 sur l’action sociale vaudoise (RS-VD 850.051.1).

53 Loi sur l’action sociale du 25 juin 1996 (LASoc ;RS-NE 831.0).

54 Décision du chef du département de l’économie et de l’action sociale,REC.2017.188du 23 octobre 2017, c. 3.4 et 3.5.

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s’inscrivant dans un contexte de formation ou d’intégration professionnelle »55. Sont considé- rées comme s’inscrivant dans un contexte d’intégration professionnelle les relations de travail liées à des mesures de réinsertion prévues par les législations fédérale ou cantonale, notamment en matière d’assurance-chômage, d’assurance-invalidité, d’asile ou d’action sociale ainsi qu’à des mesures similaires prévues par des conventions collectives de travail dont le champ d’application est étendu56. Ici non plus, la loi ne qualifie pas les contrats en question. Toutefois, l’existence même d’un contrat étant admise, voire prescrite par la loi, nous ne voyons pas d’obstacle à la qualification de contrat de travail au sens de l’art. 319CO.

[Rz 47] Rappelons encore que, selon l’art. 320 al. 2CO, le contrat de travail est réputé conclu lorsque l’employeur accepte, pour un temps donné, l’exécution d’un travail qui, d’après les cir- constances, ne doit être fourni que contre salaire : il s’agit alors d’un « contrat de fait », qui existe même contre la volonté des parties, en vertu d’une présomption irréfragable. Toutefois, le carac- tère absolument impératif de l’art. 320 al. 2COn’empêche pas, selon la doctrine majoritaire, de conclure un accord exprès et clair qui renverse la présomption légale et permet donc l’existence d’un contrat de travail sans rémunération57. Le canton de Vaud, par exemple, dispose d’une me- sure de bénévolat intitulée MACIT (Missions d’action citoyennes) pour lesquelles on peut sans doute admettre l’existence d’un contrat de travail sans salaire : il s’agit de missions au sein du ré- seau associatif du canton. Il en existe une centaine, qui peuvent être proposées à des bénéficiaires qui ont le souhait d’être actifs58. Ces missions n’ont pas l’ambition d’insérer ou d’être un travail, mais doivent permettre à ces personnes d’avoir une activité dans un contexte social : il peut s’agir par exemple de servir des cafés ou de faire de petites activités. La mesure n’est pas rémunérée : il s’agit de bénévolat. Le montant du revenu d’insertion n’est pas touché et il n’y a pas de sanction quand la mesure s’arrête.

[Rz 48] Le plus souvent, les programmes d’occupation ou d’insertion ne font malheureusement pas l’objet d’une réglementation aussi claire que les mesures vaudoises présentées ci-dessus, comme on peut le constater dans le cas qui est à l’origine de cet arrêt du Tribunal administra- tif du canton de Zurich59: un bénéficiaire de l’aide sociale avait en l’espèce participé à des pro- grammes d’occupation pendant dix ans, de 1998 à 2008. En 2009, il réclama un montant chiffré à CHF 110’000.- environ à titre de salaire pour le travail fourni, selon lui, sur la base d’un contrat de travail de fait (art. 320 al. 2CO). Il semble qu’il ait essentiellement exercé, pendant cette période, une activité de peintre en bâtiment. Le Tribunal zurichois a retenu que le recourant avait travaillé

« pendant un certain temps » au sein de l’entreprise et sous le contrôle de l’autorité intimée (le service d’aide sociale) dans le cadre de divers programmes d’emploi (sans en préciser la nature).

A cet effet, des « contrats de participation » ont été conclus, dont les conditions ont été définies par l’autorité (charge de travail, temps de travail, durée du programme d’emploi, lieu, quotité du supplément d’intégration, etc. [selon les pièces, un supplément d’intégration d’un montant de

55 Art. 32c de la Loi neuchâteloise sur l’emploi et l’assurance-chômage du 25 mai 2004 (LEmpl ;RS-NE 813.10).

56 Art. 3 al. 3 du Règlement portant sur l’application des dispositions de la loi sur l’emploi et l’assurance-chômage relatives au salaire minimum neuchâtelois du 25 octobre 2017 (RSalMin ;RS-NE 813.100.0).

57 Christoph Senti, Gratisarbeit und Soziallohn : Folgen eines « falschen » Lohnes, PJA/AJP 2016 p. 59 (65), avec les références à l’arrêt TF,4A_19/2015du 20 mai 2015, c. 3.2 et àUllin Streiff/Adrian von Kaenel/Roger Rudolph, Arbeitsvertrag, Praxiskommentar zu Art. 319–362 OR, Shulthess (zit. als BK-Rehbinder/Stöckli)et ZK-Staehelin. 58 Voir : Bénévolat-Vaud, centre de compétence pour la vie associative, missions d’actions citoyennes - macit,

https ://www.benevolat-vaud.ch/mesure-macit(consulté le 11 mars 2019).

59 ArrêtVB.2011.00097du 20 avril 2011.

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CHF 250.- a été versé pour une certaine mission et une somme forfaitaire de CHF 160.- en plus pour la restauration externe]). D’autres conditions de participation ont également été fixées dans les informations relatives au programme. Toutefois, selon les juges zurichois, aucune rémunéra- tion n’était prévue au vu des circonstances du cas d’espèce, si bien qu’aucun salaire n’était dû pour les services fournis dans le cadre des programmes d’occupation, ce qui excluait d’emblée, selon les juges, l’application de l’art. 320 al. 2CO, cette disposition ne s’appliquant pas si le caractère non rémunéré d’une prestation est expressément convenu.

[Rz 49] Le point de vue du recourant selon lequel ses activités auraient excédé la portée habituelle d’un programme d’occupation ne pouvait pas être suivi : l’objectif principal de la participation à un programme d’occupation était de lui donner une structure quotidienne et de lutter contre les conséquences négatives du chômage, puisqu’il s’était vu refuser un emploi sur le marché primaire du travail en 2003. Les activités du requérant en 2007 et 2008 – après son admission provisoire – avaient été menées dans le cadre de « missions caritatives » et visaient à améliorer les compé- tences des participants et à maintenir leur employabilité. L’organisation dans laquelle travaillait le recourant avait d’ailleurs (selon les juges) déployé beaucoup d’efforts pour le placer dans le marché primaire du travail, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les raisons de l’échec d’un pla- cement à long terme. Il s’agissait également, pour les participants au programme, de « fournir une contrepartie » aux prestations de l’aide sociale, et ils recevaient pour cela des suppléments d’intégration. Les juges en ont conclu qu’un engagement caritatif peut également avoir un sens s’il n’y a pas de perspectives réalistes d’intégration à long terme sur le marché du travail primaire.

La manière dont le recourant a été employé en tant que peintre ne dépassait donc, selon les juges zurichois, d’aucune manière le cadre d’un programme d’occupation. Qui plus est, les travaux ef- fectués n’auraient pas été effectués du tout sur le marché primaire du travail. Les prétentions salariales ont donc été rejetées.

[Rz 50] Au vu de ce qui précède, on constate que de nombreux programmes d’occupation des bénéficiaires de l’aide sociale sont réglés par un contrat de travail lorsqu’ils comprennent une prestation de travail. En plus d’être conforme à la loi, cette organisation est claire pour tous les protagonistes et pour les assurances sociales. Il apparaît qu’elle ne comporte que des avantages.

Pour éviter des cas comme celui qui a donné lieu à l’arrêt zurichois cité ci-dessus, il eût été sou- haitable de régler de manière transparente la question de la rémunération du bénéficiaire dès le début ; il eût également convenu d’éviter que cette personne ne travaille pendant dix ans sans rémunération.

[Rz 51] Qui plus est, il se justifie pleinement de s’écarter, en matière d’aide sociale, de la juris- prudence du Tribunal fédéral sur la qualification des rapports juridiques dans le cadre des PET de l’assurance-chômage : selon un arrêt de 1999, les PET ne sont pas des rapports de travail ordi- naires ; au contraire, il s’agit de rapportssui generis60: il existe certes un rapport de travail au sens du droit des obligations entre l’assuré et l’organisateur du programme d’occupation. Toutefois, l’employeur ne paie pas de salaire. Il doit seulement établir un décompte du salaire brut à l’at- tention de la caisse de chômage et en déduire les cotisations sociales ; le salaire net est versé, sous forme d’indemnités journalières spécifiques, par la caisse, auxquelles est ajouté le cas échéant un complément. A l’appui de son analyse, le Tribunal fédéral a ajouté qu’« il faut prendre en considé- ration le fait qu’il s’agit d’un programme spécifique, [...] qui vise la réintégration professionnelle

60 ATF125 V 360, c. 2b.

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sous la forme d’une occupation « transitoire » et donc limitée donc le temps »61. Le Tribunal fé- déral des assurances a précisé cette jurisprudence dans un arrêt du 12 juin 200362 : le rapport de travail qui lie l’assuré à l’organisateur du programme d’emploi temporaire est régi par le droit des obligations avec pour conséquence que les dispositions légales relatives au contrat de travail (art. 319 ssCO) s’appliquent par analogie même si le programme constitue un rapport juridique sui generis63.En l’espèce, une application par analogie des art. 324aal. 1 et 329COavait conduit le Tribunal fédéral à admettre que l’assuré était dispensé de participer au programme et ne pouvait donc être déclaré inapte au placement, pour les jours suivant le décès de son épouse.

[Rz 52] Il faut souligner que cette jurisprudence est antérieure à l’introduction de l’art. 23 al. 3bis LACI64. Éviter que les cantons ne puissent financer des places de travail qui feraient repartir un nouveau délai-cadre dans l’assurance-chômage n’était, sans doute, pas étranger au raisonnement du Tribunal fédéral lorsqu’il a rendu cette jurisprudence. La question étant désormais réglée dans la loi, il n’est plus de besoin (ni, à notre avis, de justification) d’éviter la qualification de contrat de travail au sens de l’art. 319CO.

[Rz 53] Pour les mêmes raisons, il convient de s’écarter également du régime applicable au pla- cement à l’essai dans l’AI, qui, lui, fait l’objet d’une base légale expresse réglant la nature des rapports juridiques liant l’assuré à l’employeur : en vertu de l’art. 18a al. 3LAI, le placement à l’essai ne fait pas naître de rapports de travail au sens du code des obligations (CO). La rai- son d’être de cette règle semble être que, dans cette configuration triangulaire, les conditions de travail sont exclusivement régies par l’assurance ; l’employeur ne doit en principe suppor- ter aucun coût : ni versement du salaire, ni primes d’assurances65. Selon la loi, certaines dispo- sitions du Titre X CO sont toutefois applicables par analogie, à savoir : diligence et fidélité à observer (art. 321aCO) ; obligation de rendre compte et de restituer (art. 321bCO) ; heures de travail supplémentaires (art. 321cCO) ; directives générales et instructions à observer (art. 321d

61 Arrêt précité ; nous traduisons.

62 Arrêt du Tribunal administratif fédéralC 315/02du 12 juin 2003, paru in : ARV/DTA 2004 p. 131. Ici, l’assuré avait participé à un PET, sur injonction de l’ORP, pour une durée de cinq mois. Il a souhaité interrompre la mesure pour prendre soin de son épouse gravement malade. L’ORP le dispensa de participer au programme pendant trois jours, puis l’autorisa à prendre les cinq jours suivants comme des jours dispensés de contrôle, étant entendu que son aptitude au placement devrait ensuite être réévaluée. L’épouse de l’assuré décéda deux semaines plus tard. Le Service de l’emploi du canton de St Gall a prononcé que l’assuré n’était pas apte au placement pendant ces deux semaines, puisqu’en raison de la grave maladie de son épouse, il n’était pas en mesure d’accepter un emploi conve- nable. Le Tribunal fédéral a confirmé l’inaptitude au placement de l’assuré pendant cette période, considérant (de manière pour le moins choquante à notre avis) que, contrairement à ce que l’assuré lui-même soutenait, il était plus vraisemblable qu’il n’aurait pas laissé des tiers s’occuper de son épouse, qui était dans un état « très critique », se rendant ainsi inapte au placement. Le Service de l’emploi avait encore considéré l’assuré comme inapte au place- ment pendant les cinq jours suivant le décès de son épouse, soit jusqu’à ce que l’assuré reprenne son activité au sein du PET.

63 Ibid. Cf. aussiSenti(nbp. 57), p. 61. Le Tribunal fédéral a confirmé une nouvelle fois cette jurisprudence dans l’arrêtC 290/06du 14 août 2007.

64 Entrée en vigueur le 1eravril 2011, « cette disposition empêche qu’une période durant laquelle l’assuré a participé à une mesure de marché du travail financée par les pouvoirs publics ne soit comptée comme période de cotisation » (Rubin, ndp 18, ad art. 23 n. 42).

65 Rémy Wyler/Boris Heinzer,Droit du travail, 3e éd., Berne 2014, p. 899. Voir toutefois, à propos de l’assurance- accidents, le tout récent ATF144 V 411, c. 2 à 4, selon lequel « on ne peut cependant pas déduire de ces textes [en particulier, le Message du Conseil fédéral] que le législateur entendait exclure de l’assurance les personnes au béné- fice d’un placement à l’essai. Le fait que les modalités de cette obligation (prise en charge des primes) n’ont pas été concrétisées à ce jour par voie d’ordonnance ne saurait être décisif ».

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