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Cloches, sons et clochers. Sens visuels et acoustiques au Moyen Âge

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Christian Freigang

CLOCHES, SONS ET CLOCHERS. SENS VISUELS ET ACOUSTIQUES AU MOYEN ÂGE

L

es grands clochersdu Moyen Âge remplissaient une multitude de fonc­

tions:échauguettepourles gardiens dela ville soucieux de détecter tout type de dangers, commeles ennemis oules incendies ; tribunepour les musiciens; phare symbolique de la prospérité et de la fierté de l’institution concernée ; belvédère pour les princes affirmant leurpouvoir sur les territoires qu’ils dominaient. Mais de primeabord les clochers servaient - et serventtou­

jours - à loger les cloches,l’instrument acoustique essentiel duMoyen Âge. On sait qu’elles servaientà rythmer le temps de la vieséculière et spirituelle,de sorte que le droit de disposer deleurs sonscomptaitparmiles privilègesessentiels des différents pouvoirs. Ce n’est pas seulement dans un senstemporel que les sons de cloches créèrentun espace juridique - par exemple enindiquant l’ouverture etlafermeturedesportesde la villeou des comptoirs de vin-,puisque danscer­

tains cas, cettecapacité pouvait s’étendre à une délimitation topographie. Ainsi, à Metz, un document de 1319précise lalimitede labanlieueselon l’audibilité de la grande cloche de la cathédrale. Dans cetteperspective,AlfredHaverkamp asouligné laspécificité desclochesdans ladéfinitionde la communautéet dela commune, telle qu’elleétaitconçuedans la civilisation chrétienne occidentale1.

Les communesse constituent en effet par les actions et lesintérêts de complexes

« publicités », trèssouvent en concurrenceentre eux, et dépendant des places publiques de rassemblement ainsique de signaux acoustiques clairs etforts. Cette fonctionessentielle des clochesn’est passans conséquence pour l’archéologie médiévale car elle nous incite à réfléchirsur les édificesd’où émanaient lessons et surles endroits où les clochesétaient suspendues. Leurnombre,leurs dimensions, leur poids, latechnique et surtout l’altitudedeleur suspension ont un rapport direct,à la fois technique etesthétique, avec les constructions susceptibles d’abri­

ter les clocheset leurs beffrois. Cette questionn’a pourtantététraitée qu’à de raresexceptions et la littérature campanologique se concentre très nettement sur

I Alfred Haverkamp, « “... an die grofie Glocke hângen”. Über Offentlichkeit im Mittelalter vjahrbuch des Historischen Kollegs 1995, p. 71-112 ; Zb., Gemeinden, Gemeinschafien und Kommunikationsformen im hohen und spâten Mittelalter. Festgabe zur Vbllendtmg des 65. Lebensjahrs, dir. F. Burgard, L. Clemens et M. Matthaeus, Trêves, Kliomedia 2.002., p. 277-313 ; Edtnund Kizik, « Die Funktion von Glockeninschriften. Ein Versuch ihrer Einteilung unter methodologischem Aspekt », Jahrbuch der Glockenkunde 13-14,2001-2002, p. 1-12.

Regards croisés sur le monument médiéval, éd. par Marcel Angheben, Pierre Martin et Éric Sparhubert, Turnhout 2018 (Culture et société médiévales, 33), p. 445'456

© Brepols Publishers DOI 10.1484/M.CSM-EB.5.116273

Originalveröffentlichung in: Angheben, Marcel (Hrsg.): Regards croisés sur le monument médiéval : mélanges offerts à Claude Andrault-Schmitt, Turnhout 2018, S. 445-456 (Culture et société médiévales ; 33)

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les instruments eux-mêmes, négligeant presque complètementles rapports entre cloches et clochers1.

2 Art. «Glocke», Reallexikon fur Antike und Christentum, n, col. 164-196; Art. «Cloche» et

«Clocher», Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, III, 2, col. 1954-1982; Christhard Mahrenholz, Glockenkunde, Kassel-Bâle, Bârenreiter, 1948; Percival Price, B élis and Man, Oxford, Oxford University Press, 1983; Lusus campanarum. Beitrdge zur Glockenkunde. Sigrid Thurm zum 80.

Geburtstag, dir. T. Breuer, Munich, Landesamt für Denkmalpflege, 1986 (« Arbeitshefte des baye- rischen Landesamtes für Denkmalpflege », 30) ; Kurt Kramer, Die Glocke und ihr Gelaute: Geschichte, Technologie und Klangbild vom Mittelalter bis zur Gegenwart [ièrc éd. 1986], Munich; Deutscher Kunstverlag, 1990; Carl-Rainer Schad, Worterbuch der Glockenkunde. Stichworter zur Campanologie mit Erlauterungen und Literaturhinweisen, Berne-Stuttgart, Hallwag, 1996 ; Kurt Kramer, Glocken in Geschichte und Gegenwart: Beitrdge zur Glockenkunde, Karlsruhe, Badenia, 1997; Thierry Gonon, Les cloches en France au Moyen Âge. Archéologie d'un instrument singulier, Paris, Errance, 2010.

3 A. Haverkamp, « "... an die groBe Glocke hângen”... », p. 285.

4 Nb 10,1 sq; Jos 6, 4. Sabine Z AK, Musik als «Ehr und Zier » im mittelalterlichen Reich : Studien zur Musik im hôfischen Leben, Neuss, Pâffgen, 1979, p. 38.

Pour mieuxcomprendre ces relations,il convient de souligner brièvementle caractère sacré des cloches. En Europe, elles renaissentà l’époquemérovingienne et dans un contextemonastique pour indiquer lesheures canoniales et structurer la liturgie,etcettesacralité s’est maintenuejusqu’à nosjours puisquetoutecloche religieuse est baptisée et bénie. Très souvent, les cloches appartenaient à une ins­

titutionreligieuse, même si leur fabrication étaitgénéralement financée par les communes désireuses d’en ornerlesgrandes églisesparoissiales, commedans les villes impériales du MoyenÂgetardif. La dimension sacro-liturgique des cloches comprendégalementcertaines fonctions apotropaïques : repousser les menaces diaboliques,les fléaux et les ennemis militaires.Cesaptitudesmultiples sontéga­

lement expriméesdans les formules de bénédictiondescloches qui correspondent à celles de bénédictions et de prières presbytérales. La cloche a donc valeurd’inter­

médiaire entrela commune terrestre et lepouvoirprotecteur émanant de Dieu.

Cela se traduit dans lesseptvaleurs cardinales de la cloche qui, danscertains cas, s’exprimentexplicitement dans les inscriptions quiy sont appliquées, commepar exemple à Haguenau, eniz68: «Jechantela louange du vraidieu, convoque le peuple, rassemble le clergé,lamente les morts,expulse la peste, orne les fêtes, et les démonsredoutentma voix »’. Dès le Xe siècle,lescloches subissent aussi une allégorèse typologique,considéréessoit comme le renouvellement des trompettes d’argentdeMoïse, parlesquellescelui-ci a convoquéson peuple ausacrifice, soit en tant que trompettesqui ont démantelé laville deJéricho2 3 4.

Quant auxinscriptions des cloches, il convient de souligner qu’ellesparlent très souvent à la première personne : par leurhautevoix, elles adoptent plus leurpropre expression qu’elles ne délivrent uncontenuspirituel - le message des saints -, exception faite des cloches dédiées à la Vierge {Ave Maria). En fait, chaque cloche est dédiée àunou plusieurs saintspatrons dont le choix

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correspond souvent aux vocablesdel’église concernée. La clocheparticipe donc concrètement àla personnalité de chaque saint qu’elle représente5 :elle agran­

dit et intensifie son êtreet le rend accessible grâceàune large diffusion sonore.

Ceci est untrait essentiel des messages des saints dont - suivant les paroles de Bernard deClairvaux -, le sonus -il se réfère aux apôtres ! - in omnem terram exivit afin que ceux-ci clamant... inpublico... in nubesvolant6. Cette spécificité des voix sacrées peutêtre directement attribuée aux cloches, grâceà leurs sons puissantsportant très loin. Dans cetteperspective, ilfaut aussi relever l’inter­

prétationproposéeparGuillaume Durand qui, dans sonRationaledivinorum officiorum, résume ainsi les significations des cloches:elles symbolisent lesvoix fortes et emphatiques des prophètes et desprédicateurs7. Ce sens quasi personnel des clochesse concrétise, dès le XIVe siècle,par des représentations en bas-relief appliquéessur leur surface. Souvent, unetelle pratique se combine avecla pré­

senced’insignesdepèlerinage.Lesmatricesont été pressées surla face intérieure du moule defonte extérieuret reproduisaient ainsi leurs formesen relief dans le corpsdebronzede lacloche. La piété qu’avaient éprouvée cespèlerinsrésonnait donc àchaquecoupde cloche.

5 E. Kizik, « Die Funktion von Glockeninschriften... », ici p. 3.

6 Bernardde Clairvaux, Sermones in cantica canticorum, dans Opéragenuina, III, Paris, 1833, p. 363.

7 Guillaume Durand, Rationale divinorvm officiorvm, I, 4, éd. A. Davril, Turnhout, Brepols, 1995 {Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, 140/1), I, p. 52-57 {E)e campants).

8 S. Zak, Musik als «Ehr undZier»...

9 Konrad Bund, Clans Peter, « Die Glockengüsse des Meisters Gherardus de Won zu Erfurt im Jahre 1497 » ,Jahrbuch der Glockenkunde 1-2,1989-1990, p. 37-65.

L’audibilitédecesvoix sacréesétaitencore amplifiée par la durée du batte­

ment ainsiquepar la résonnance, parfois considérable, de chaque cloche. Or,la puissancedu son s’avérait essentielle :une multitude dedocuments médiévaux atteste l’importanceattribuée au volumeacoustique et au bruitsolennelpour légi­ timer un pouvoir revendiqué ou pour se défendrecontre des puissances hostiles.

Il s’agissaitlà d’unetradition de superstition qui prétendait pouvoirdistancerles démons et les malheurs à l’aidedegrandbruit et decrispuissants8. En ce sens, le volume des sons des cloches n’a paspour unique vocation d’émettre dessignaux acoustiques à l’adressed’une collectivité. De surcroît, le volumedusonrenvoieà des questions de hiérarchie spirituelle,comme l’indique explicitement l’inscrip­ tion de lavieille cloche d’« Hosanna » de la cathédrale de Mayence,fondue en

1298 : OSANNAHEISINICHDIEDONEALLERMENTZER GLOCKEIN

UBERDONICH (Jem’appelleHosanna, je couvrelessons detoutesles autres cloches mayençaises)9.Et dans certains cas, les textes attestent que la puissance des sons devait assurer unebonne communication avec le ciel. Une des cloches de

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Saint-VictordeXanten,par exemple, évoque lesaint patronafin qu’il demande à Dieu de lui conférer lesdons salvateurs : pete dona salutis'°.

Or,cen’est que vers la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle,période égale­ ment décisivepourl’architecture gothique,que la durée de résonnanceainsi quele volume dessonss’améliorentdefaçon significative. Ce changement est dû à denou­ vellesformes declocheset auxtechniques de fonte.La cloche enforme de «pain de sucre» remplace désormais lacloche en forme de « ruche » pourfinalement adopter, dès leXVIe siècle, la forme « gothique » encore plus évasée. Cela engendre une nouvellequalitédessonsdescloches, désormaisplus différenciésetvariés,cequi permettra une gamme plus large dessignaux collectifs. En même temps, il sera bien­

tôt question d’unaccordage harmonique individuelet collectif au sein du clocher : c’est ce qu’illustre le traitédemusique de Jérôme de Moravie, composé audernier quartdu XIIIe siècle dans un milieu dominicain, en France septentrionale. Lecha­

pitre 18 est explicitement consacré à la question dela bonneconsonance devant s’exprimer, par une relation étroiteentre le poids de laclocheet sa hauteur deson11.

10 E. Kizik, « Die Funktion von Glockeninschriften... », p. 9.

11 Jérômede Moravie, Tractatus de musica., éd. E. de Coussmemaker, Scriptorum de musica medii aevi, n. s., I, Paris, Durand, 1864, p. 73.

12 K. Bund, C. Peter, « Die Glockengüsse des Meiscers Gherardus... ».

C ’est avecla forme en « pain de sucre »de lacloche qu’est née sa qualité acous­ tiquesi caractéristique. Le coup dubattant contre la pince (lèvreinférieure) fait vibrer la robe de lacloche quiémet une compositionacoustique spécifique d’har­ moniques supérieures, de duréesdiverses etd’intervallescaractéristiques. Le calcul de ces profilsharmoniques dépend essentiellement du poids, de lataille, du métal de fonte et duprofilspécifiquede lacloche entre les partiesducerveau,l’épaule, la robe, la panse et la pince. Le calcul préliminaireet très précis de ces facteurs, etdoncdel’ac- cordage parfait des sonneries, se perfectionnera jusqu’àla fin du MoyenAge. Cette harmoniemusicaledeviendramême une valeur artistique en soi, parfois formulée par les inscriptions des cloches. En 1497, lecélèbrefondeur néerlandais Gérard de Wou fabriqua deux nouveaux instruments pour la cathédrale d’Erfixrt,dontlafameuse

« Gloriosa »avecses tons très bas. Unedeces clocheslouangeait, par son inscrip­ tion, la qualité demodulation harmonique de l’ensemble delanouvelle sonnerie:

« Grâce à l’art de Gérard deKampen [Gérard deWou] onchanteen l’honneur du Dieu trinitaire: Ce qui est :moi, jesuis sol [quinteà la fondamentale], Gloriosaest ut [fondamentale], maismiestOsanna [tierce majeure], donc leplénum englobeune Quinte [triple accord en mode majeur]. En l’an du Seigneur 1497 ». Un accord très semblableet explicitementharmonique{adprohationem consonancie)avait été réalisé en1490pour la sonnerie de la cathédrale métropolitaine de Mayence’1.L’adaptation de la modulation acoustique d’Erfurt n’étaitcertainement pas conçue sansprémé­

ditation, de façon à signalersonstatut de collégiale de Mayence. 10 11 12

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Ce calcul très précis delasonorité permettait aussilareconstruction des qualités musicales de cloches anciennesou détruites, ainsiquele maintien des traditions acoustiquesdes villes,églises, hôtels devilles, etc.Cette maîtrise était susceptiblede créer des valeurs symboliques,parexemple par un accord parfait detroissons comme une référencemusicaleà laTrinité. Etant donné les compétences hautement spéciali­ séesdemandées aux fondeursde cloches, on comprend leur statut social élevé et leur très bonne rémunération à l’époque médiévale.De plus,le bronze très coûteuxmani­

pulépar les fondeurs demandait d’énormes investissements financiers et logistiques, sanscompter qu’unefonte ambitieuse risquait facilement d’échouer. Aucours des XIII'-XVesiècles,lesambitionsdes maîtres d’ouvrage ecclésiastiques etcommunaux s’accrurentet augmentèrent lesdéfis techniques : une cloche plus lourde demandant non seulement plus de métal,mais aussi de savoir-faire et une logistique plusavancée ainsi qu’un beffroi techniquementcapable de la suspendreet de résister à un balan­

cementfréquent. Durantla mêmeépoque, on constate unetendanceau gigantisme et à de véritables prouesses techniques,comme l’atteste la« Cardinal d’Amboise » de la cathédrale de Rouen quipesait17 tonnes ou la « Maria Regina »de 21 tonnes fondueen 1519 pour lacathédrale de Strasbourg, mais brisée deuxans plus tard.

Mise à part lafabrication coûteuse de ces cloches colossales,lesconséquences logis­

tiques furent considérables : leur dimension ne correspondaitpastoujours à l’espace disponible dans leschambres des cloches.Ainsi, à la cathédrale de Bamberg, pour permettre un librebalancement de la « Heinrichsglocke »(cloche Henri II) fondue en 1511, ilfallutenlever une partiede la maçonnerie à l’intérieurde la tour nord-est1’.

Faire sonner cesgrandes cloches demandaitaussi de grandes équipesdesonneurs, s’élevant jusqu’au nombre de douze personnes... qu’il fallait bien entendu payer.

13 Claus Peter, « Die Glocken der Bamberger Altstadt. Teil 1.1 : Das Domgelâute », Jahrbuch der Glockenkunde, 9-10,1997-1998, p. 13-29.

Tout cecifait comprendre l’importance et l’ambitionqu’il convient d’attri­

buer àlaconstruction desclochers. Abriter les cloches nese résume pasàmettre à disposition un étageen hauteur.Une construction stable et résistante auxvibra­

tionsdu balancement devait se conjuguer avec les effets acoustiquesdésirés, sur­

toutencequi concerneladirectionet le rayon de diffusiondu son.La chambre des clochesforme, avec sa voûte,unespace de résonnance qui transforme etdirige lessons des instruments. De plus, lamise en œuvred’un clocher ne s’explique pas uniquement par la volonté de disposer d’unlieu pratique pour abriter les cloches ; elle vise égalementàrendre visible,littéralement etsymboliquement, lesvoixpuis­

santes des saints. Malheureusement, on ignore presque complètementla façon dont les rapportsentre la fabrication des cloches et la conception desclochers furentcalculés préalablement par les maîtres d’œuvre mais un teldéficit est égale­ ment vrai pour la conceptiond’autres parties d’unédifice médiéval. Il faut donc *

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seconcentrer sur l’analysearchéologique, tout ense rendantcompte de problèmes délicats enmatièrede conservation: clocheset breffois ontsouventétémodifiés, détruits etrenouvelés ; demême, la documentation concernant l’accompagnement et la structuration dudéroulement liturgique et cérémoniel par les cloches est souvent très fragmentaire. Il s’agitdoncici d’étudierà titre d’exemples quelques cas remarquables tout en restant prudent sur la questiondeleurgénéralisation.

L’ancienne collégiale Saint-Barthélemy à Francfort abénéficié deprofondes recherchescampanologiques, dues à Konrad Bund, un desmeilleures spécialistes dans cedomaine14.La construction du nouveau clocher gothique,commencéeen 1415,fut conçue comme uneseule tourtrès haute, érigée à l’ouestde la nef beau­ coupplus ancienne, en remplacement d’unmassif occidental du XIIe siècle(fig.1).

Juste avant le début destravaux,les vieilles cloches furent transférées dans un beffroi provisoire, érigéedans l’enclos canonial,près de lanouvelle construction.

14 Konrad Bund, Frankfurter Glockenbuch, Francfort-sur-le-Main, Kramer, 1986 (« Mitteilungen aus dem Frankfurter Stadtarchiv », 4).

Aufur et à mesurede l’avancementdes travauxà la tour, les cloches étaient sus­

pendues à des beffroisprovisoirementinstallés dans lesnouveaux étages. Àpartir de 1440environ, lorsque le deuxième étagede la tourétait en cours deconstruc­

tion,on commençala fontede nouvelles cloches. En l’espace d’unedécennie, on refit donc non seulement la tour maisaussi la sonnerie qui atteignit finalement le nombre de neuf cloches.Tout cecifut apparemment conçu avant ledébutde la construction car les voûtains durez-de-chausséede la tour montrent uneouver­

ture d’un diamètre qui correspondàcelui de laplus grande cloche. Aumoment duvoûtement du dernier étage, en1507,toutes lescloches obtenaient finalement leurplace définitive dans la chambreoctogonale, très haute,de la tour.Le beffroi était composéededeuxparties superposées abritant enbas les cloches dela collé­

giale et au-dessus celles du conseilcommunal(«Rat ») (fig. 2). En somme, cette charpente doubleremplissait complètement l’étageoctogonal de la tour, la partie la plus remarquable detout l’édifice.Sa fonction en tant que chambre des cloches est encore renforcéeparles grandes ouvertures qui s’élèvent sur toutelahauteur de l’octogone.Bien évidemment, ellesont pourfonctionde laisser s’échapper les sons et de les dirigermaisleur importance estégalement rendue visible par la couronne de gables quirègne au-dessusdeslancettes.Etant donné toutes ces corrélationsétroites entre lenombredescloches, l’espacequ’elles occupent et la structurearchitecturale du clocher de Francfort, force est de conclure qu’il s’agitd’uneprogrammationconcertée qui englobait à la fois laconception de lasonnerie et de l’architecture.Autrementdit, l’architecture,dans ses données techniques et sa compositionesthétique,répond dansunelarge mesure à sa fonc­

tion de« phareacoustique ». Plusconcrètement, la mise en valeur de l’étage de

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Fig. i. Francfort, ancienne église collégialeetparoissiale Saint-Barthélemy, clocher, état versipoo(cl. Chr.Freigang).

l’octogone,qui contraste avec lesoubassement carré parson plan octogonal et sonornementation plusriche, est destinée àsignaler visuellement l’endroit d’où parlent les voix sacrées descloches.

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1 Sturmylocke 2 Klein e UhrglocKe, 5 G/onosa

Z-eitgloake.

5 Greffe MeHengiocke l 6 IVeinglocke 2 V Kteine Meiïenglocke

& Salve Glocke 9 Carolus 10 BartholomàiAS

N W 4- 0

S

Fig. 2. Francfort-sur-le-Main, ancienne collégiale Saint-Barthélemy, coupe de l’octo­ gone avec le beffroi en charpente, état avant 1867 (d’après K. Bundéd.,Frankfurter

Glockenbuch, Francfort-sur-le-Main, VerlagWaldemarKramer, 1786, p. 272).

Leclocher de la très ambitieuseéglise paroissialed’Ulm (le soidisant Milnster) permet d’approfondircesobservations. Commeà Francfort,la constructionde la tour,commencée en 1391,allait de pair avecla fabrication detrois nouvelles cloches tout aussi ambitieuses, aumilieuduXVe siècle, afindecompléter la son­

nerie déjà existantede deux instruments fondus ausiècle précédent (planche59).

Finalement,la sonneriemédiévale comptait six cloches, suspenduesau troisième

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étage du clocher et inauguréesen 1455. Comme ce que l’on qualifiede Kranz(cou­ ronne) - lagalerie entourant la partie supérieurede cet étage-n’ayant été achevée qu’en 1494 -,onpeutlégitimement supposer que l’érection du beffroi a chronolo­

giquementprécédé lamaçonnerie qui l’enchâsse. Les sources ne mentionnenten tout casaucune charpente provisoire montéedansl’enclosparoissial. En revanche, des documents graphiquesde1596 insérés dans undevis pour la réfectiondela charpente apportent de précieuses informations sur la suspension des cloches avant et après cette date (fig. 3)15.Une charpente de 14mdehauteur était calée à l’inté­

rieur des murslatéraux du troisième étage. Sur cette œuvre desoubassement en bois s’élevait le beffroi proprementdit, d’une hauteur de 6menviron. Comme àFrancfort, l’ensemble de cette construction enboisremplissait complètement l’intérieur du troisième étage du clocher, entre leSteinerner Boden (la plateforme en pierre), servant de sol de l’étage et le Kranz.C ’est exactement à cet endroitque s’ouvrent d’imposantes double-arcades, surunehauteurde 20 m,pour permettre ladiffusionduson de cloches. On arrive même àexpliquer certaines répartitions dans lefenestrage,notamment unetraverse quicoupeles meneaux au deux-tiers delahauteur, car c’est là que lebeffroi repose surson soubassement. Comme à Francfort,on prévoyait dès le début dela construction de la tour la dimension précisedescloches carla voûte duporchedu portail occidental - formant le rez- de-chausséedu clocher - ainsi queleSteinerner Boden montrent chacununetrès large ouvertureronde d’un diamètrede 7 pieds, équivalent à 2m.Les documents graphiques nousrenseignement également sur l’endroitoù l’équipede sonneurs actionnaient les cordes : ils les tiraientaurez-de-chaussée, directement derrièrele grandportail occidental, etleuraction se faisait donc publiquement, voire àun endroit privilégié. Cela nous permet de conclurequ’avec la construction du troi­ sièmeétagede la tour, tous ses composants fonctionnelsétaient achevés d’après une conception élaborée dès le début: le portail avec son programme iconographique puis le premier étageavecsa très grande baie occidentaledédiée àSaint-Martinetsa tribune donnant sur la nef,et finalement, dans la zone supérieure,l’étage très élevé entièrement consacré àlogerlescloches, le pourtour du Kranzet une maisonnette pour les gardiens de la tour, aménagée sur la plateformesupérieure de cet étage.

15 StadtarchivUlm A [1618].

Toutes les donnéesarchitecturalesdutroisième étage correspondent incon­

testablement à sa fonction essentielled’abri pour ses immenses instruments de musique.Le plan de la tour reste, jusqu’àcet étage, rectangulaire pour créer un espace intérieur suffisamment amplepourle beffroi et son soubassement.

Àl’étage supérieur,conçusur une séried’épures au Moyen Âge maispas réalisé avant le XIXesiècle, le plan se transforme en octogone et l’espace disponible se réduit très sensiblement. De même, les contrefortsdela tour, très saillants jusqu’à

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f

Fig. 3. Ulm,église paroissiale«Munster»,projet de réfection dubeffroiencharpente (1396; cl. Ulm, Stadtarchiv A [1618].)

l’étagedes cloches,serétrécissent dansles niveaux supérieurs. De plus, toutes lesépures montrent, au-dessusde la chambre des cloches, une netterupture de conception. À partir de ce niveau,onprévoit un octogone d’une légèreté épous­ touflante, composé par des remplagesenfiligraneet nettement en retraitpar rapport au massifsitué au-dessous.Lecouronnement du clocher d’une hauteur dequelques80mètres par l’étagede l’octogone et uneflècheaussi audacieuse n’a

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pasde fonction pratique mais elle est destinée à être vuedetrèsloin et, surtout, à couronner les cloches par unesorte debaldaquin monumental. Le clocher d’Ulm ressemble doncà un ostensoir ouà un des tabernacles du gothique tardif, avec ses immenses flèchesau-dessus du réceptacle du sacrement. À l’endroitnormalement réservé au sacrement, on trouve, dans leclocher,les instruments des voixsacrées.

Un troisième exemple, plus ancien maisbiendocumenté et conservé, nous est donné parlescloches et le clocher delaparoissiale {Munster)deFribourg-en- Brisgau.Lagrandecloche« Hosanna »,quiexiste toujours, fut fondueen 12.58, une deuxièmesuiviten 1281et letrès hautbeffroi fut érigé en1291, au-dessus de l’étage de l’horloge(fig. 4, planche 60).L’étude archéologique montre que l’œuvre de charpenterie fut montée avant les murs. Comme dans d’autres cas,par exemple à la cathédrale d’Utrecht,le beffroi s’élevait d’abord en plein air, pleinement visible pendant uncertain lapsde tempsde quelques années ou décennies. Si l’étage de l’octogone qui abrite les cloches aété depuis toujours loué en raison de sa forme en filigrane rappelant celle d’un ciboireen métal,sa conceptionrépond, encore une fois, à lamise en place des cloches. «Hosanna » se trouve dans lamoitié supérieure del’octogone,marquée à l’extérieurparunecornichetraversant les ouvertures.

Leurs parties basses sontmuréesmais au-dessus leson des clochespeut se répandre largementetcesouverturesd’échappement sontmême encadrées par d’élégants gables.Au-dessus, l’étage estcouvert par une voûtesurbaissée,sorted’abat-son destiné àdiriger les sons verslaville. La partiesupérieuredel’octogone s’ouvre en filigrane, comme untabernacle, et elle est surmontée parlafameuse flèche à rem- plage. Touteslesparties s’avèrent, dans leur conceptionconstructive,étroitement liées entre elles. Le beffroicommence dès l’étage de l’horloge,à un niveauoù la maçonnerie estencore trèsmassive et où elle circonscritun plan carré.En hauteur, la charpente sedresse, en se rétrécissant,dans l’intérieur de l’octogonebeaucoup plus ajouré et décorépour laisser échapper et pourvisualiser les sons des cloches.

À Fribourg, cette fonctionest clairement soulignée par un cycle de grandes statues quiorne les faces latéralesdescontreforts« en éperon », exactement au niveaudes cloches (planche60).Il s’agit de prophètes, chacun encadrépar une large arcade qui correspondauxouvertures du sonà côté. Ce voisinageentre clocheset prophètes est certainementissu de l’interprétation exégétique, mentionnéeplushaut, du son des cloches comme voix puissante des prophètes.Le clocherde Fribourgconfirme donc encore une fois l’étroit rapportrapprochant la conception technique, la forme architecturale et l’emplacementainsique la mise en scène des cloches au Moyen Âge. Peut-être pourrait-on aller jusqu’à proposer une explication pour les flèches largement ajourées non seulement à Ulm et à Fribourgmais aussi àCologne, Meissen, Strasbourg, Berne, etc.Leur structure largementouverte révèle non seu­ lement uneévidente virtuosité technique mais aussiuneperméabilitésymbolique des mursdestinéeà laisser leson sacré des cloches s’échapperlibrement vers le ciel.

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Fig. 4. Fribourg-en-Brisgau, égliseparoissiale, «Münster», charpentedes cloches dans le clocher (d’aprèsF Adler, «Das Münster zu Freiburg i.Br. », dans Deutsche Bauzeitung,15/1881, p. 505).

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