• Keine Ergebnisse gefunden

Le roi de France, aurait-il pu acheter Byzance?

Avant de parler de ce marché, faisons connaissance de Byzance à la fin du XIVe siècle. L’empire n’est plus qu’un reliquat de ce qu’il a été lors de son ancienne gloire. Son territoire est limité aux environs de Constantinople: la ville elle-même et une par-tie du Péloponnèse. Son heure est venue. Les Turcs Osmanlis, qui avaient déjà conquis une grande partie de l’Asie Mineure, s’étaient déjà installés dans la partie européenne de Byzance.

Leur capitale se trouvait à Andrinople en Thrace, ville située à trois jours à cheval de Constantinople. Ils rassemblent leurs forces pour attaquer.

L’empereur Jean V Paléologue attend de l’aide de l’Occident, mais la bataille sur la Marica dissipe ses illusions. Au moment où Jean V est persuadé d’avoir associé la papauté à ses projets en se convertissant à la confession romaine, et lorsqu’il cherche de l’aide auprès de Venise, les Turc battent les Serbes sur la ri-vière Marica en 1371. Les Balkans sont à prendre et l’Occident reste inactif. Jean V se décide à faire un acte humiliant, mais il croit que cela va lui assurer de survivre: en 1372 ou 1373, il devient le vassal de Murât I, et s’engage à payer un tribut annuel et à accorder une aide militaire aux Turcs. Contre qui? Contre les confrères des Balkans et l’ancienne population de l’Empire en Asie Mineure, subordonnée maintenant aux Osmanlis. Une décision tragique. Elle permettra aux Turcs de se mêler des af-faires de l’Empire, mais, il faut le dire, le fils ainé de Jean V, An-dronic, les y encouragera en s’engageant dans le conflit intérieur

Le roi de France, aurait-il pu acheter Byzance?

des Osmanlis contre Murât. Le sultan exigera de son vassal un châtiment pour cette insubordination en demandant d’aveu-gler Andronic et son fils Jean. L’empereur est dans l’impasse.

L’exécution est simulée et ni le révolté ni son fils ne perde la vue.

Andronic, prévu pour la successsion, est déshérité et, en 1373, l’empereur désigne comme successeur son fils cadet Manuel.

Mais Andronic n’attend pas longtemps. A l’aide de Murât, il dé-trône son père en 1376 et devient l’empereur Andronic IV en honorant son fils, le petit Jean VII, de la dignité de coempereur.

Les deux soignent leur dessein, Jean V et Manuel II sont en prison. Byzance a quatre empereurs, mais aucune force réelle.

En 1379, Jean V et Manuel II sont libérés à l’aide de Murât. Ils s’engagent à payer un tribut plus grand. On comprend bien qui décide dans ce jeu et qui est vainqueur. Le père pardonne à An-dronic et celui-ci se contente du droit au pouvoir pour son fils Jean VII.

Les conflits familiaux des Paléologues et l’engagement des Turcs dans ces conflits affaiblissent encore plus la faible By-zance. Le drame balkan arrive à sa fin. Les Turcs battent les Serbes à Kosovo Polje en 1389 et attaquent la Bulgarie pour en faire une des provinces de leur empire. Murât périt à Kosovo Pol-je, mais son fils Bàyazîd I prend le pouvoir. Jean VII lui demande de l’aide pour restituer son pouvoir. En 1390, il s’oppose à son grand-père Jean V et exerce son règne à Constantinople pen-dant quelques mois. Jean V revient sur le trône, mais pour peu de temps. Il meurt en 1391 et c’est Manuel II qui va régner après s’être échappé en cachette des mains des Turcs auprès desquels il faisait son service militaire en tant que vassal. Bâyazîd ne peut pas le lui pardonner. Il lui impose un tribut si grand que Byzance ne peut plus payer, et Venise, auquelle les empeureurs empruntent, ne veut plus avancer d’argent. Manuel, en tant que vassal, est obligé, de revenir auprès des Osmanlis pour terminer ses engagements militaires. Bientôt, il ne peut plus supporter de telles humiliations, mais l’honneur exigera un défi ouvert aux Turcs. En 1394, Bâyazîd met le siege devant Constantinople.

C’est le début de la fin. Venise offre l’asile à Manuel. Il ne l’ac-cepte pas. L’Occident apprend les nouvelles sur le drame de Constantinople. L’Europe est bouleversée, mais elle ne peut rien faire. La Péninsule Ibérique et surtout la Castille est occu-pée par la Conquête et ses propres problèmes. L’Angleterre et la France mènent leur propre guerre que l’on appellera la guerre de Cent ans. La papauté est touchée par le grand schisme, et son autorité est divisée entre Rome et Avignon. Le Reich n‘entrait pas en compte. Le règne de Wenceslas IV de Luxembourg finira mal. Son frère Sigismond de Luxembourg, roi de Bohème, essaie de sauver l’honneur de la famille.

La Bohème, après les victoires des Turcs sur les Balkans, est particulièrement exposée à leurs attaques. Sigismond orga-nise une expédition dans laquelle prennent part des personnes connues de l’Europe, entre autres le fils cadet du duc de Bour-gogne, le futur Jean sans Peur. Il est à la tête de l’armée fran-çaise. La bataille de Nicopolis en 1396 finira par une défaite totale de cette armée “mixte.” Sigismond de Luxembourg s’en-fuit et Jean sans Peur devient prisonnier de guerre. Il semble que c’est la fin, mais Manuel II ne se soumet pas. Il envoie à Pa-ris une délégation avec Théodore Cantacuzène pour demander de l’aide pour Constantinople assiégée. La France, en raison de son engagement à Nicopolis, semble être un destinataire conve-nable. Elle comprend le drame de Byzance, mais est maintenant obligée de payer la rançon pour son chef bourgignon et d’autres seigneurs. Il y a parmi eux Jean Boucicaut, un guerrier cou-rageux qui est prêt à aller au secours de Byzance. Le roi de France Charles VI lui donne 1200 soldats qui arrivent par la mer à Constantinople en 1399. Paris commence à s’intéresser davantage à ce qui se passe sur les bords du Bosphore, car, depuis 1396, Charles VI est suzerain de Gênes et cette ville pos-sède de nombreux territoires dans le monde égéen. Les Génois sont particulièrement attachés à Péra, un quartier de Constan-tinople qu’ils habitent depuis longtemps et où ils mènent leurs affaires. Il est difficile de dire s’ils étaient liés émotionnellement

Le roi de France, aurait-il pu acheter Byzance?

à Byzance. Ils rivalisent plutôt avec Venise qui promet de l’aide à Manuel. Dans ce chaos politique, le destin de Byzance se décide, Byzance qui n’aurait pas pu être sauvée si les Turcs n’avaient pas été battus par Tamerlan près d’Ankara en 1402.

Ce coup dur porté aux Turcs sauve l’Empire et retarde sa dé-faite définitive d’un demi-siècle. Mais où, dans tout cela, est la proposition faite au roi de France d’acheter Byzance? Lequel des quatre Paléologues en conflits les uns avec les autres, a fait cette offre? Jean V et Andronic étaient déjà morts, Manuel a ré-sisté courageusement jusqu’à la fin, mais où était son neveu Jean VII? Celui-ci, qui avait déjà goûté au pouvoir impérial, menait toujours un duel discret contre son oncle. Trentenaire, il a une vision du destin byzantin complètement différente de celle de Manuel II qui va vers ses 50 ans. En 1397, par l’intermédiaire des Génois de Péra, il propose au roi de France le droit au trône de Byzance en contrepartie de 25 000 florins de pension par an et d’un château bien fortifié en France. Quelle idée! Pour voir si une telle offre était réalisable, voyons maintenant comment le problème se présente du côté français.

La France est en conflit contre l’Angleterre depuis 1337. A la fin du XIVe siècle, elle est en position de faiblesse bien que le règne de Charles V ne l’ait pas laissé prévoir. Charles VI prend le pouvoir en 1380, après son père, Charles V le Sage. Charles le Sage avait tout fait pour que la France oublie son déshonneur de la bataille de Poitiers et le traité de Bretigny de 1360, et selon lequel il fallait payer une grosse rançon pour Jean le Bon, roi de France, fait prisonnier par les Anglais.

En 1380, Charles VI a pu profiter de la politique raisonnable de son père. Il n’avait pourtant que 12 ans et ses oncles tuteurs étaient très puissants. Parmi eux, on trouve Philippe le Hardi, le père du futur Jean sans Peur. Les autres sont Louis d’Anjou et Jean duc de Berry. C’est Philippe le Hardi qui a marié Charles VI à Isabeau de Bavière, issue d’une riche famille de Wittels-bach. Cette belle femme va séduire non seulement son mari, mais aussi toute la cour. Elle va s’engager dans des liaisons

qui ne lui apporteront pas une belle renommée. Charles VI se fait prendre au début par les plaisirs d’une vie joyeuse que sa femme aime tant, mais en 1388, il se libère de la tutelle des oncles et s’entoure de nouveaux conseillers. Il aurait pu déve-lopper ses capacités de monarche autonome, si une grave ma-ladie ne l’avait pas frappé. La première attaque l’atteint lors de son séjour en Bretagne en 1392. Il est frappé par la démence, devient fou, ne reconnaît pas son entourage et s’enfonce dans l’apathie. Les oncles profitent de l’occasion pour reprendre le pouvoir, accompagnés du frère du roi, Louis d’Orléans, qui flirte ouvertement avec sa belle soeur Isabeau de Bavière. Personne ne veut accompagner le roi malade, hormis Odette, une jeune femme entrée au couvent et qui est maintenant chargée des soins auprès du roi. Odette n’a pas peur de lui, elle apaise ses angoisses. Il se sent beaucoup mieux avec elle. Quand il ap-prend les nouvelles sur Constantinople, assiégée par Bâyazîd, il encourage Sigismond de Luxembourg dans son idée d’expé-dition contre les Turcs. Le fils de Philippe le Hardi, Jean sans Peur, se met à la tête de l’armée. Cette expédition est coûteuse.

Philippe ordonne un impôt pour armer son fils ainé et gagne de cette façon 120 000 couronnes d’or. 60 000 viennent de ceux qui ne peuvent pas partir. Une armée somptueuse part pour Nicopolis où la bataille contre Bâyazîd se termine en 1396 par leur défaite. Avant cela, Odette meurt en mettant au monde une fille que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Marguerite de Valois. La mort d’Odette provoque le retour de la maladie de Charles.

Donc, en 1397, quand les nouvelles sur l’offre de Jean VII arrivent au roi de France, il n’est plus un destinataire conve-nable. Il est difficile d’évaluer quel était son propre capital. II est suzerain de la riche ville de Gênes et c’est sur cela que compte peut-être Jean VII. Le trésor français est vide. L’argent est parti pour les plaisirs d’Isabeau de Bavière et de son amant, Louis d’Orléans, le frère du roi. La riche Bourgogne fait des dépenses pour payer la rançon en contrepartie de la liberté du fils de

Le roi de France, aurait-il pu acheter Byzance?

Philippe le Hardi et d’autres chevaliers. C’est un vrai drame pour la France, gouvernée par Charles VI le Fou, un roi ma-lade, mais le Bien-Aimé de ses sujets. Revenons à la proposition qui a été l’une des dernières fantasmagories byzantines. Est il plus sûr de s’installer dans un château en France, quand le pays vit une période difficile? Pour Jean VII, apparemment oui.

A Byzance, il est dangereux de vivre, mais Jean VII n’est plus à Constantinople puisqu’il a obtenu un domaine à Selymbria sur la mer Marmara mais il aimerait le quitter pour la France.

Combien coûte un bon château? La même somme que la pen-sion désirée, ce qui donne ensemble une somme de 50 000 flo-rins. Peut-être que, malgré tous ces problèmes, Charles le Fou aurait pu se payer Byzance, mais qu’est-ce que cela lui aurait donné? Il a voulu écouter Théodore Cantacuzène, envoyé par Manuel II, et le secourir avec 1200 chevaliers, le maréchal Bou-cicaut à leur tête. Cela devait coûter beaucoup, mais du point de vue de Charles le Fou, c’était plus raisonnable. Paradoxalement, à la fin du siècle, on peut observer plus de raison chez le roi ma-lade que chez son frère Louis d’Orléans, amoureux de sa belle-soeur et voué aux danses et plaisirs. Cette attitude déplaira bientôt à Jean sans Peur, mais la préoccupation de l’honneur de la cour ne sera qu’un pretexte pour supprimer un rival politique qu’était le beau duc d’Orléans, aimé par la reine. Il périra dans une ruelle obscure en 1407. En même temps, Manuel essaiera de profiter de la défaite des Turcs près d’Ankara et de renfor-cer avec peine son État affaibli par le siège de Constantinople.

Jean VII mourra en 1408. Son petit garçon mourra avant lui et c’est ainsi que la lutte de Manuel contre son neveu finira. Une rivalité difficile à comprendre, si l’on prend en consideration ses circonstances.

Presque cent ans plus tard, en 1494, Charles VIII, le roi de France qui s’engagera dans les guerres italiennes, achè-tera à André Paléologue les droits de Byzance. Cela pourtant ne lui donnera rien, ni à lui, ni à Byzance qui ne rescucitera plus après la chute de Constantinople en 1453. Qui était André

Paléologue et pourquoi s’est-il adressé à Charles VIII, c’est là un autre sujet. Notre histoire concernant la fin du XIVe siècle est depuis longtemps terminée. Nous y entendons le vacarme des armes turques et les disputes des derniers Paléologues au sujet de ce pouvoir tellement illusoire. Nous entendons aussi les bruits des fêtes parisiennes et les chuchotements secrets d’une belle femme et de ses adorateurs, et surtout d’un adorateur.

Nous entendons enfin le roi Charles le Fou sursautant dans l’attaque d’une fièvre maladive qui ne le quitte plus depuis son expédition en Bretagne.