Ceque nous savonsest peu de chose, mais cequo nousignoronsestimmense.
Laplace.
Celle leçon a été publiée en édition particulière, aux frais de l'auteur, qui la reproduit ici, après l'avoir soigneusement revue avec M. //ormmg, professeur de droit à l'Académie de Lausanne, et M. L. Béranger, profes-seur de littérature française à l'Académie de Lausanne. La critique savante et judicieuse de ces Messieurs a contribué pour beaucoup il rendre moins imparfaite la présente publication.
Messieurs,
C'est un
vrai plaisir
pour moi de me retrouver en présence des étudiants de l'Académie de Lausanne et de plusieurs de mes honorables collègues.* Puisse la satisfaction devenir ré-ciproqueConclure du connu à
l'inconnu,
de ce quel'on
voit à ce que l'on ne voit pas, —•tout le monde le pratique. —L'Arabe
•Certains sujets sont plus développés dans cet écrit, qu'i's ne l'ont été dans la leçon. C'est surtout le cas pour le cdne de /a TVm'ère Les hommes spéciaux trouveront ainsi dans la présentepublication des détails,que d'au-très lecteurs peuvent laisser de côté, pour ne s'attacher qu'aux résultats.
'
L'auteur a enseigné la géologie à l'Académie de Lausanne de 1851 à 1855.-
97-du désert,
quand.il
aperçoit à grande distance un aigle pla-nant d'une certaine façon dans les airs, s'écrie : « Unlion
»— Il
sait que cet aigle guette le moment de fondre à sontour
sur laproie,
qu'unlion
va bientôtquitter.
Du reste, chacun a plus ou moins l'habitude de se former
des opinions par voie indirecte. On juge ainsi du caractère d'un homme par son langage, par son
écriture,
par-sa mise.C'est au fond par le même procédé que le jurisconsulte arrive à sa preuve
morale,
et que le savant,—
on devraitplutôt
direl'étudiant,
car le savant n'est qu'un étudiant per-pétuel, — élabore sa doctrine.Il
commence par l'observation,qu'il
combine avec l'expérience, quandil
est possibled'inter-venir
en modifiant les circonstances dans lesquelles les phé-nomènes observés se produisent, puisil
classe,il
coordonne,il
compare ses premiers résultats pour les mieux saisir, etenfin,
remontant des effets aux causes,il
arrive à découvrirles grands principes, les lois qui régissent la nature. Obser-vation, avec expérience quand
il
y alieu,
comparaison et enfin induction,—
voilà la science.Un des plus beaux exemples de l'application de ce procédé a été
fourni
par la géologie cette science qui a su refairel'histoire
de notre globe avant l'existence du genre humain.—
Mais pourquois'arrêterait-on
au moment où, pour la pre-mière fois, un êtreintelligent
apparut sur cette terre, peuplée jusqu'alors par des créations animales, douéesd'instinct
seu-lement—
L'hommen'est-il
pas aussi un élément de la na-ture, etlui
aussin'appartient-il
pas au grand plan de la Créa-tionOn nous
dira
que pour l'époquehumaine,
nous avons la transmission des souvenirs par les documentsécrits,
soitl'histoire
proprementdite,
et par lerécit oral,
soit la tradi-tion.—
Mais, avantl'invention
del'écriture,
où étaitl'his-toire,
et avant le développement du langage, où était latra-dition
Les origines de
l'écriture
ne sont pas si obscures.—
C'estdire,
que les débuts del'histoire
proprement dite ne datent7.
pas de bien
loin. —
Les origines du langage parlé remontent naturellement beaucoup plus haut.—
Mais l'étude des languesfait voir
qu'elles se sont graduellement et lentement dévelop-pées, àpartir
d'un degré trèsrudimentaire,
correspondant nécessairementà un état également rudimentaire de la pensée.— C'est assez dire que la
tradition
orale ne saurait remonter jusqu'àl'origine
de notre espèce, pas plus que le souvenir del'individu
ne sauraitlui
rappeler sa naissance.Evidemment,
l'humanité
doit avoir traversé une première phase, qui n'a pas laissé de sou/enir.
Combien de temps cet âge oubliéa-t-il duré,
quand latradition a-t-elle
commencé à seformer,
à quelle époquel'histoire
proprement ditea-t-elle pris naissance
—
C'est cequ'il
estdifficile
de décider.Pour
l'Europe
méridionale,l'histoire
datée et contrôléere-monte à plusieurs siècles avant
l'ère
chrétienne. Pour la partie de l'Europe située au nord des Alpes, l'époquehistori-que ne s'ouvre guère qu'avec l'invasion romaine c'est-à-dire versle commencement de l'ère chrétienne. On abien quelques données historiques et certaines traditions remontant un peu plus
haut, mais,
au point de vue des recherches que nous nous proposons, elles n'ont pas grande importance et nous en ferons abstraction.Or,
ce sont ces tempsanté-
traditionnels etanté-histori-ques, que nous désignons sous le nom de
haute antiquité,
et qui doivent faire
ici l'objet
de notre étude en neconsidé-rant
que l'Europe septentrionale jusqu'aux Alpes et en nous arrêtant vers le commencement de l'ère chrétienne. — Notre tâche se trouve ainsi nettementlimitée,
ce que l'on voudra bien ne pas perdre de vue.Puisque les souvenirs de cette longue époque sont à peu près effacés
il
nous faut chercher un autre genre dematé-riaux
pour la reconstruire.—
Nous nous trouvonsici
préci-sèment dans la même position que le géologue quirefait
l'histoire
de notre globe ; nouslui
emprunterons donc sa mé-thode et notre marche présentera nécessairement beaucoup d'analogie avec la sienne.-
99-Les matériaux du géologue sont surtout les restes des créa-tions animales et végétales, soitles pétrificationsoules fossiles enfouis dans les couches qui forment en grande partie les
masses continentales.
Au lieu de fossiles nous avons les produits de
l'art
et del'industrie,
qui sont pour nous comme unmiroir,
dans lequelse reflète' l'image de
l'homme,
de sa vie et de sacivilisation
tout entière. Car à l'œuvre on reconnaîtl'ouvrier.
Si d'un os le géologue saittirer l'animal
complet auquel la pièce ajadis
appartenu, on peut tout aussi bien avec un simple fragmentde pot cassé refaire le vase entier, et du vase conclure à celui qui
l'a
fabriqué.Il
n'y a pas si loin d'un tesson à l'homme ;car tout se
tient,
tout s'enchaîne, dans l'économie humaine, comme partout dans la nature.— L'habitant primitif
de noscontrées a disparu depuis longtemps, ses dépouilles mortelles sont retournées à la poudre, ses récits héroïques sont oubliés aussi bien que ses chants d'amour, le nom même du peuple,
de la race, est perdu;
—
mais le travail de ses mains subsiste encore et nous permet de ressusciter nos ancêtres devoir
comment ils vivaient et secomportaient,
d'assister à leurs repas, d'examiner leurs industries domestiques, dereconnaître leurs voies commerciales, de les suivre à la chasse et à laguerre,
de les surprendre dans quelques-unes de leurs céré-monies religieuses et de contempler leurs usages funéraires.—
Nous nous transportons ainsi dans le passé de notre espèce, et nous imitons le géologue qui a su se rendre le témoin du développement de notre planète.—
Voilà comment nous en-tendons l'étude de la haute antiquité, ou de l'arc/téoïo^î'eOn le voit, ces recherches ne portentquesur des objets ma-tériels, maispour les
vivifier
et les faire parler, comme legéo-logue a su faireparler
lespierres.—
La nature répond quand on saitl'interroger. —
Seulement,il
ne faut pas demander aux temps qui ne connaissaient pasl'écriture,
de nousfournir
des noms propres ;
ils
fontici
entièrementdéfaut, tandis qu'ilsjouent
un rôleimportant
dansl'histoire
ordinaire.—
Aussinos études se
borneront-elles
à suivre le développement de lacivilisation
(en allemand (Mfwrg'esc/w'cftfe), sans toucher àla parole. Nous pouvons,
jusqu'à
un certainpoint, voir
nosancêtres, mais nous ne pouvons pas les entendre ; nous les observons comme si nous étions des sourds-muets.
- On objectera peut-être que pour reconstruire ainsi le passé humain au moyen des restes de
l'industrie, il
faut une abon-dance de matériaux qu'onest loin d'avoir réunis ; ondira
queles antiquités sont rares et que les trouvailles sont peu
fré-quentes. — Maisjadis
on croyait les fossiles tout aussi rares et tout aussi exceptionnels, et maintenant les collections en regorgent.Il
estvrai
qu'à part quelques monuments formés de gros blocs et certaines levées de terre, le temps a rarement épar-gné ceux d'entre les produits del'art primitif
qui s'élèvent au-dessus de la surface du sol. C'est surtout le cas dans les contrées qui nous occupent et oùl'emploi
de la maçonnerie, reliée par dumortier,
ne date que des Romains. —- Mais considérons que de nombreuses générations se sont succédé sur le mêmeterrain,
qu'ellesl'ont
semé des débris deleur industrie
et qu'ellesy sont elles-mêmes descendues, emportantavec elles dans leurs tombes ce qu'elles avaient de plus
pré-cieux. Nous comprendrons alors, que la terre végétale, leter-reau, doit être, comme une de ces couches fossilifères du géologue,
riche
endocuments du passé, lesquelsil
s'agit seule-ment d'apprendre à chercher,à reconnaître et àinterpréter.—
Le sol que nous foulons est le tombeaudu passé, un vaste torn-beau, toujours ouvert, et qui nous engloutira à notre
tour
avec les restes de notre
industrie
et auprofit
des antiquairesà
venir/
Il
est égalementvrai,
que le plus souvent la conservation des antiquités n'est quepartielle.
Les substances charnues et les matières végétales ont ordinairement disparu, et ce ne i On rendrait un grand service à la science future, en marquant la date partout où elle peutse mettre, surtoutsur lapoterie, sur le verre et sur lemétal.
—
101—
sont guère que les métaux, la pierre, la poterie, le verre, qui ont résisté. — Mais