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La construction de la Renaissance florentine au XIXe siècle. La perspective des voyageurs du Nord

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La construction de la Renaissance florentine au XIXe siècle.

La perspective des voyageurs du Nord*

Christine Tauber

Paradoxalement, Giorgio Vasari est l’initiateur de la construction de la Renaissance florentine au XIXe siècle. Dès sa première édition des Vite (1550) -

un ouvrage conçu comme modèle pour ses collègues artistes et comme texte de référence pour le postulat d’un primat florentin - il déploya un développe­

ment artistique « d’un point assez bas jusqu’au plus haut sommet » et puis, à la suite « de hauteurs sublimes vers des abîmes profondes ». Dans cette conception téléologique, ce sont les artistes qui sont susceptibles de suivre le développement progressif de la renaissance de l’art jusqu’aux temps modernes, « au niveau atteint par notre époque actuelle » comme l’exprime la première traduction allemande par Ludwig Schorn et Ernst Fôrster (1832-49, vol. I, p. 42). Le champ terminologique d’un renouveau artistique est déjà lar­

gement étendu au XVIe siècle1. On trouve un véritable arsenal de verbes et de substantifs pour désigner ce resurgissement (nsuscitare, risorgimento), ce renouvellement {rinnovazione), cette nouvelle instauration (restaurazione), cet­

te reprise et remise en état (revisione), cette régénération (rigenerazione), cette résurrection (resurrectio), toutes ces notions en concurrence terminologique avec la re-naissance au sens propre du mot (nnascita, nnascenza, rinascere).

La rinascita vasarienne suit un modèle de progrès dont l’objectif final se trouve dans les temps présents ; elle a culminé en un passé récent dans le génie divin de Michel-Ange. Cette sorte de téléologie fut volontiers accueillie par les auteurs du XIXe siècle : Florence, la ville florissante qui porte les fleurs-de-lys sur son blason, est la ville des origines, des innovations, où les bourgeons bien garnis éclosent - et c’est en même temps le berceau de la modernité politique ainsi qu’artistique. Selon Jacob Burckhardt, une des causes du sursaut innova- tif à Florence, précisément, est climatique, le grand air qui souffle sur la ville2.

Sans Florence, pas de renaissance (ni de Renaissance) - voilà le crédo burck- hardtien : « es bedurfte dazu einer ausserordentlichen Stadt und eines gewalti- gen Menschen, welche das Neue thatsàchlich einführten. Zu Florenz, in einer Zeit hohen Gedeihens, wird zuerst das Gefühl lebendig, [dass] etwas Neues kommen musse »3.

L’agent moteur de ce développement progressif, c’est le genio fiorentino4.

Nous le trouvons dans le folio de luxe de Charles Yriarte Florence. L’histoire, les Médicis, les humanistes, les lettres, les arts, orné de 500 gravures et planches, paru en 1881 (Fig. 16). Ce petit bonhomme malin représente toutes les qualités

Originalveröffentlichung in: Brucculeri, Antonio ; Frommel, Sabine (Hrsgg.): Renaissance italienne et architecture au XIXe siècle : interprétations et restitutions, Roma 2015, S. 79-92 (Hautes études.

Histoire de l'art)

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attribuées au stéréotype florentin : la curiosité juvénile, l’ambition, l’habileté pleine d’aspiration ainsi que la résolution ferme de couronner sa ville de nais­

sance du laurier - qualités indispensables pour la genèse de tout élément fon­

damentalement nouveau. À Florence, selon Vasari, la raison conceptuelle pré­

domine, le concetto et le disegno triomphent. À travers toute l’historiographie et tous les récits des voyageurs du Nord du XIXe siècle, Florence fait figure d’antipode distingué de Rome5. Le gemus loci florentin n’est contaminé ni par la malaria des Marais Pontins ni par la mauvaise gestion de la papauté, on n’y trouve ni protectionnisme ni népotisme.

Le mythe florentin

C’est à Florence même que tout a commencé : pour nourrir ce mythe, il faut successivement repousser les origines de l’art florentin dans la chronologie pour couvrir le plus grand nombre de siècles possible de ce développement d’excellence artistique. Pour garantir la prépondérance florentine d’innova­

tion, Burckhardt a exposé dans sa Geschichte der Renaissance la conception douteuse (sur le plan méthodique) d’une « Protorenaissance » : l’art roman et surtout les incrustations en marbre des façades de San Miniato al Monte ou du baptistère sur la Piazza del Duomo deviennent ainsi des précurseurs sinon les premiers germes de la Renaissance florentine : « Le mot rinascita paraît peut- être pour la première fois chez Vasari », mais même dans ces temps précoces, on comprenait par ceci « sans doute le grand mouvement artistique depuis le

XIIe siècle comme entité » (Geschichte der Renaissance, p. 22). Vasari, lui aussi, fait fleurir quelques premiers beaux jours du printemps de la Renaissance en Toscane déjà au milieu du XIIIe siècle en instituant Cimabue comme protago­

niste de cette époque artistique. La nouvelle façade de la cathédrale Santa Maria del Fiore, construite par Emilio de Fabris en 1871-1887 ainsi que la faça­

de de Santa Croce (consacrée en 1887) se réfèrent à de tels exemples d’une soi- disant « Protorenaissance ».

Au XIXe siècle, le terme et la notion de la Renaissance en tant que phénomè­

ne culturel et politique furent formés de manière déterminante par Jacob Burckhardt, avant tout dans sa Cultur der Renaissance in Italien, parue à Bâle en 1860. Pour lui, la renaissance fut « une Civilisation », une culture au sens large du mot qui avait engendré les temps modernes et qui est la mère et la patrie de l’homme moderne6. Burckhardt renoue ici avec Jules Michelet qui, dans le septième tome de son Histoire de France (1855) avait établi le terme en tant que désignation d’une époque historico-culturelle7. La plus grande conjoncture favorable à la Renaissance se produisit au milieu du XIXe siècle surtout en Allemagne et dans les pays germanophones. Après l’échec des aspi­

rations nationales de 1848/49 et le désillusionnement succédant à l’enthousias­

me lors de la fondation de l’empire allemand en 1871, nombre de bourgeois cherchèrent à s’enfuir dans des utopies rétrogrades en s’identifiant avec la cul­

ture bourgeoise de la Renaissance italienne, notamment celle de Florence. Cet­

te culture se prêtait d’autant mieux à l’identification par la bourgeoisie aile-

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mande qu’elle présentait la possibilité de légitimer un pouvoir politique moyennant la culture et l’éducation humaniste ; en outre, c’était justement pendant la Renaissance que la bourgeoisie commençait à prévaloir en tant que formation sociale. Par ailleurs, le Risorgimento italien fut intégré par les mythographes dans la généalogie de la Renaissance comme idéal politique qui garantissait une liberté civique sans réserves. Cet imaginaire de Florence est une construction arbitraire d’une époque exemplaire du passé, sur laquelle se projetaient toutes les espérances non réalisées du présent.

Un musée des monuments italiens

William Roscoe, notaire anglais, banquier sans fortune, mais auteur de The Life of Lorenzo de’ Medici caüed the Magnificent (2 vol., 1795) et The Life and Pontificate ofLeo the Tenth (4 vol., 1805) fut l’un des premiers constructeurs du mythe florentin8. Il instaura même plusieurs mythologies de la ville toscane qui furent reçues et transmises tout au long du XIXe siècle notamment par des auteurs anglo-américains. Selon Roscoe, la ville de Florence sous le règne médicéen jouissait d’une liberté politique sans réserves, fondement d’une pro­

duction artistique prospère. Cette perspective libérale fut accueillie par l’éco­

nomiste et historien genevois, Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi, dans son Histoire des républiques italiennes du Moyen Âge (1807-18) et plus tard par John Addington Symonds dans The Age of Despots (vol. 1 de son ouvrage The Renaissance in Italy, paru en 1875). Roscoe lui-même n’a jamais mis pied sur le sol italien, sa conception de la Renaissance fut élaborée à Liverpool.

On peut en déduire une règle générale. Plus les instaurateurs du mythe se trouvaient éloignés de la réalité florentine, plus aisément arrivaient-ils à construire une image idéalisante, appropriée à servir de contre-exemple positif à un présent éprouvé comme déficitaire. Dans sa biographie de Laurent le Magnifique, Roscoe a instauré Florence comme villa franca (dans la terminolo­

gie significative de « revival », « improvement » et « progress of the arts » lié à la « restauration »), officine de la bourgeoisie mercantile en pleine expansion et du soi-disant « Bürgerhumanismus »9, en tant que ville florissante de pros­

périté et de convivialité et bénéficiant d’une Constitution ultramoderne. Les aspirations despotiques des Médicis, en revanche, sont passées sous silence10.

Dans cette « invention of tradition » ripolinée, ce n’est qu’après le règne pro­

pice et bienfaisant du duc Cosimo Ier (1537-1574) que l’âge d’or de la république florentine prend fin.

Durant la première moitié du XIXe siècle, une véritable « construction » du mythe de Florence se produisit au Nord des Alpes sous Louis (1) de Bavière qui visait à réinstaller Florence dans sa ville résidentielle de Munich. Lord Byron avait célébré la ville de Florence sous les Médicis comme résurrection de l’Athènes de Périclès ; dans Childe Harold’s Pilgrimage (1812-18), il la bapti­

se du titre honorifique « Etrurian Athens ». De même, la ville de Munich sous le prince héritier Louis fut glorifiée après 1800 comme la nouvelle Athènes sur l’Isar. La collection d’art qu’il s’efforçait avidement d’assembler devait re­

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splendir des grands noms de la peinture florentine du XVe siècle11. Au sein de son palais d’art récemment bâti, la « Pinakothek », avec l’école florentine dans la dernière salle nommée « Tribune » conforme au modèle florentin, il était censé illustrer l’apogée du développement progressiste de l’art italien. Même la Loggia dei Lanzi (« Feldherrnhalle », Fig. 17) et le Palazzo Pitti furent copiés à Munich. L’architecte de cour, Léo von Klenze, n’était point enthousiasmé par l’idée de faire ressusciter ce palais florentin en son « Kônigsbau » de la résidence (Fig. 18). Dans ses mémoires il objecte que ce style florentin - donc républicain - « so charakteristisch und schôn er auch an und fur sich ist, den- noch durchaus nicht für unser Klima passte »12.

Pour les palais flanquant la LudwigstraEe, il aurait également préféré adap­

ter le style des palais romains de la haute Renaissance. Mais Louis insistait obstinément sur l’« architettura bugnata »13 dans le genre du Palazzo Strozzi et du Palazzo Pitti. Pour des échantillons de la Renaissance florentine, Klenze se servit du livre d’Auguste Grandjean de Montigny et d’Auguste Famin, Architecture toscane, recueil monumental de gravures qui parut en édition ori­

ginale à Paris à partir de 1806 et qui faisait courir le mythe des architectes flo­

rentins en tant qu’« êtres d’une nature supérieure à la nôtre ». Ce jugement ressemble à celui de Burckhardt sur le Palais Pitti dans son Cicerone. Guide de l’art antique et de l’art moderne en Italie (le sous-titre allemand Anleitung zum Genuss der Kunstwerke Italiens est d’autant plus pertinent pour l’intention didactique de l’auteur) en 1855 : « Man frâgt sich, wer denn der weltverachten- de Gewaltmensch sei, der mit solchen Mitteln versehen allem bloss Hübschen und Gefalligen so aus dem Wege gehen mochte ? ». Ce bâtiment colossal inci­

te l’impression : « als hatten beim Vertheilen dieser Massen übermenschliche Wesen die Rechnung gefiihrt »14.

Burckhardt partit pour la première fois en Italie en 1838 et il visita alors Flo­

rence, la « plus belle ville du monde » :

Selig preis ich jeden, der wie wir, von der groEen marmornen Pomona auf der hôchsten Terrasse aus Florenz überschaut hat, den ungeheuern Dom, Giottos Glocken- thurm, den alten Pallast und Santa Croce die Grâberkirche, wo Galilei, Alfieri, Machiavelli und Michel Angelo neben einander schlafen ; - ferner Fiesole auf dem herrlichsten aller Felsen, Prato im Duft des Nachmittags verschwimmend und den heiligen Vater Apennino. -19 Raphaels habe ich in Florenz gesehen - ferner die Medi- ceische Venus - ja du lieber Himmel, wenn ich in’s catalogisieren verfallen sollte, wo wollte ich enden?15

Son éloge plein d’enthousiasme juvénile déborde dans son récit de voyage

« Bilder aus Italien ». Florence lui devient un cours préparatoire d’esthétique, un musée immense plein d’œuvres d’art, qui l’initient à la beauté de l’art ita­

lien 16. Les dix-neuf Raphaëls dans la Galleria Palatina et aux Offices accablent le jeune voyageur suisse, la ville entière avec ses places publiques et ses monu­

ments lui semble une grande collection d’art :

Übrigens haben mit diesen zwei groEen Sammlungen die Kunstwerke von Florenz noch kein Ende ; auf ôffentlichen Plâtzen und in Kirchen finden sich noch tausend

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schône Sachen, une! wenn man vollends die Gebàude mitbetrachtet, so ist die ganze Stadt nur eine grobe Kunstsammlung17.

Johann Georg von Dillis, agent d’art de Louis de Bavière, a appelé Florence un véritable « trésor de peintures classiques » (« Schazkammer von klassi- schen Gemalden ») et William Roscoe, dans sa biographie de Léon X, institue le lieu commun de désigner la ville comme espace urbain muséalisé18 (Fig. 19).

L’historiographe de la ville de Rome au Moyen Âge, Ferdinand Gregorovius, caractérise Florence comme un véritable musée de plein air dans son texte

« Die ôffentlichen Monumente von Florenz » en 1856. Dans la Loggia dei Lan- zi, les voyageurs du XIXe siècle se donnaient rendez-vous avec les représentants du peuple florentin, qui animait ce musée de sculptures à visée républicaine et antidespotique :

In Florenz scheint die Kunst noch ein überraschend demokratisches Wesen zu haben, sowohl was die Ôffentlichkeit ihrer Werke als ihren geschichtlichen Zusam- menhang mit Stadt und Volk selbst betrifft. Eine grofie Menge von Bildsàulen ist auf Platzen oder in Kirchen aufgestellt, und môgen sie nun von grôKerem oder geringe- rem Wert sein, ihre Beziehung auf das Volk ist lebendig, anregend und erfreulich. In der Loggia dei Lanzi lagert sich das Volk in der Morgenfrische oder in der Abendküh- le unangefochten unter den Statuen, welche dort aufgestellt sind. Musik erschallt dort an den Festtagen, die Loge wird erleuchtet, Kinder tanzen ungestôrt um die Gruppe des Ajax und des Patroklus und unter dem Perseus des Benvenuto Cellini oder der Judith des DonatelloI9.

La distance temporelle a donc muséifié le patrimoine, les œuvres d’art deviennent des monuments commémoratifs et rappellent un passé glorieux, des mémoriaux autosuffisants. L’esprit du peuple florentin (le fameux « Volks- geist ») se laisse toujours déceler parmi eux, mais son rapport à sa ville natale n’est plus immédiat ni intact ; une distance historicisante a détaché l’esprit populaire des monuments. La liberté politique de la république florentine, commémorée dans ce musée des monuments, n’existe plus. Florence a été la proie de plusieurs dominations étrangères consécutives. Elle s’est figée dans une sorte de chronique rétrospective gravée dans le marbre des monuments20.

L’historien érudit seul peut encore apprécier le passé triomphal d’une ville morte, il sait lire les rudiments des périodes révolues, il connaît les hommes héroïques représentés sur les monuments, et lui seul sait estimer la richesse du génie florentin.

Entracte moderniste : Firenze Capitale

Dans La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, au sein du chapitre

« L’État au point de vue du mécanisme », Burckhardt a érigé un monument à la ville de Florence en tant que « premier État moderne du monde »21. Ratio­

nalité, objectivité, autoréflexion et changement continu sont les caractéris­

tiques de cette modernité : « Le merveilleux esprit florentin, cet esprit à la fois juste, fin, épris du beau, avide de créer, transforme sans cesse l’état politique

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et social ; sans cesse il le décrit et le juge. C’est ainsi que Florence devint la patrie des doctrines et des théories politiques, des expériences et des brusques changements » (p. 94). Les Florentins ont une disposition naturelle pour le calcul, pour « mettre en chiffres tout ce qui est relatif à la vie matérielle » (p. 101), et en même temps pour rendre des comptes permanents de leurs actions. Florence, c’est le berceau « de la statistique et, avant tous les États du monde, celui des études historiques dans le sens moderne du mot » (p. 94),

somme toute « le centre le plus important où se soit élaboré l’esprit italien et même l’esprit moderne de l’Europe en général » (p. 109). Mais le maniement calculé du passé de la ville par ces « artistes d’état » florentins ne suffisait à créer ni une Constitution durable ni des œuvres d’art d’une beauté éternelle.

Il faut franchir la frontière entre Florence et l’État de l’Église pour dépasser la beauté calculée de la première Renaissance florentine et parvenir à l’âge d’or de la haute Renaissance romaine. Selon Burckhardt, c’est Rome l’endroit inébranlable des événements de la politique actuelle, où les ruines et les monuments antiques perdurables nous enseignent de manière ostensible que chaque perte est suivie d’un recommencement. Dans la Ville éternelle, le passé et le présent sont en équilibre, Rome seule peut devenir un refuge pour ceux qui sont las de la modernité.

À la fin du XIXe siècle, Florence, cette « ville du mouvement » (Civilisation en Italie, p. 79), n’était cependant pas susceptible d’être le refuge idéal pour les européens de la vieille école. En 1865 au plus tard, quand la ville sur l’Arno devint pour la période de cinq ans la capitale passagère du royaume unifié d’Italie, la modernisation des structures urbaines s’imposait en raison de l’ex­

pansion démographique et du besoin d’héberger la cour ainsi que le nouvel appareil administratif22. Giuseppe Poggi, architecte et urbaniste, présentait en 1863 un plan d’aménagement et d’agrandissement pour Florence, la Fianta indicativa dell’ingrandimento, qui proposait tout d’abord de démolir l’enceinte séculaire. Les vastes Lungarni, le Stradone dei Colli, cette route panoramique oltr’Arno, ainsi que plusieurs parcs et villas des nouveaux riches témoignent jusqu’à présent de ces interventions urbanistes. Le Ghetto et le Mercato vec- chio furent les victimes du sventramento, de cette éviscération complète à la Haussmann du centre historique médiéval. La nouvelle Piazza Vittorio Ema- nuele (aujourd’hui Piazza délia Repubblica) avec son arc de triomphe monu­

mental et son monument équestre du roi remplaçait au cours de ce riordina- mento et risanamento l’ancienne place du marché aux conditions hygiéniques déplorables. L’inscription sur XArcone L’ANTICO CENTRO DELLA CITTÀ / DA SECOLARE SQUALLORE / A VITA NUOVA RESTITUITO annonce la renaissance du vieux centre, sur l’endroit même de l’ancien forum romain. Ce n’est qu’en 1889 que la résistance contre cette modernisation forcée et des initiatives pour la protection du patrimoine florentin s’organisent moyennant la création de la Società per la difesa di Firenze antica. Le livre de Guido Carocci Firenze scom- parsa. Ricordi storico-artistici, paru également en 1889, s’efforçait de reconstrui­

re l’architecture vandalisée dans une rétrospective historicisante et de la conserver au moins par des gravures.

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L’implication de Florence comme Capitale intérimaire de l’Italie jusqu’en 1871 fut de courte durée. La plupart des projets ambitieux (et coûteux) de remaniement et d’expansion urbanistique ne furent jamais réalisés. Le juge­

ment de Gregorovius sur la production artistique contemporaine à Florence est négatif ; selon lui, elle devient de plus en plus imitative, remuant les grandes traditions d’antan23. De cette perte d’originalité et de génie créatif résulte une architecture déclinant de manière éclectique tous les styles histori- cisants ; on n’y trouve que des monuments et des décorations rétrogrades :

Die heutige Bildhauerei der Florentiner hat kaum noch eine andere Aufgabe behal- ten als die der monumentalen Ausschmückung ihrer Stadt. Es ist nicht ungerecht, zu sagen, da/5 in allen ihren Werken auch die letzte Spur so von der Kühnheit des Michel- angelo, wie von dem frischen und lebhaften Sinn des Donatello, des Luca délia Rob- bia und des Verrocchio untergegangen ist24.

Dans l’espace urbain du XIXe siècle, cette valorisation historique s’affiche dans plusieurs mesures constructives de grandes dimensions : l’instauration d’un Panthéon comme lieu de sépulcre pour les uomim famosi de toutes les époques de l’histoire florentine à Santa Croce ; l’installation de vingt-huit sta­

tues représentant des illustri toscani qui ont augmenté la gloire de la Toscane - parmi eux à peu près la moitié sont des hommes politiques et des artistes de la Renaissance — dans le corridoio des Offices, opération commémorative déjà prévue par Vasari dans son projet initial ; l’ouverture d’un musée dans la Casa Buonarroti, maison d’habitation de Michel-Ange dans la Via Ghibellina en 1858 ; la célébration du cinquième centenaire de l’anniversaire de Donatello en 1886 et l’exposition de ses œuvres organisée à cette occasion dans le Palazzo del Bargello nouvellement restauré ; la mise en place de sculptures de la Renaissance dans l’espace public, par exemple le Marzocco par Donatello sur la Piazza délia Signoria et le monument équestre de Giovanni dalle Bande Nere par Baccio Bandinelli sur la Piazza di San Lorenzo ; la production sériel­

le de répliques des fameuses sculptures de la Renaissance pour satisfaire le marché touristique ; la rénovation et l’agrandissement de plusieurs bâtiments du XVe et du XVIe siècle (entre autres le Palazzo Strozzi all’Antinori, les palais Guadagni et Gondi) ; enfin la construction dans un style néo-Renaissance d’un vaste nombre de palais (le plus fameux est le palais Lavisan - aujourd’hui Palazzo delle Assicurazioni Generali - sur la place de la Signoria, mélangeant les styles du palais Strozzi et du palais Pitti, terminé en 1871 après la démoli­

tion préalable de l’église tardo-médiévale de Santa Cecilia et de la Loggia dei Pisani).

Le centenaire Michel-Ange en 187y

Selon la volonté de Giuseppe Poggi, le Viale dei Colli trouve son apogée sur le Piazzale Michelangelo (Fig. 20), situé tout près de San Miniato al Monte.

De par cette plateforme immense outre Arno, la ville se présentait au touriste, à la fois en vue panoramique et en rétrospective, car la distance spatiale créait

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l’illusion qu’elle était conservée dans sa silhouette des premiers temps modernes.

Dans cette vue d’ensemble à distance, le corps urbain se montrait toujours intact et fermé sur lui-même, ainsi que l’avait dépeint la fameuse chorographie du plan de Florence contourné d’une chaîne par Lucantonio degli Uberti, d’après Francesco Rosselli vers 1500. Dans la loggia en style néoclassique qui devait borner la place, Poggi avait prévu l’installation d’un musée de monu­

ments dans lequel il comptait exposer des sculptures originales et des fontes des plus célèbres statues de Michel-Ange, comme dans une sorte de seconde

« Tribuna ». Non seulement pour les rénovateurs de la ville de Florence mais aussi pour la bourgeoisie européenne dans son ensemble, Michel-Ange devint, dans le dernier tiers du XIXe siècle, la figure de projection par excellence pour leurs propres discussions de valeurs politiques et esthétiques. Dans ce proces­

sus d’identification culturelle, les anniversaires fournissaient de parfaits moments de cristallisation. En 1865, c’était le sixième centenaire de la naissan­

ce de Dante Alighieri, en 1875, le 500e anniversaire de Michel-Ange ; Florence par ces fêtes rendait honneur à ses plus grands fils25.

Dans un monde sécularisé, l’art est considéré comme le dernier élément relevant du divin. Les métaphores religieuses dans les nombreuses lettres de dédicace et de félicitation envoyées à Florence par les associations d’arts et les académies allemandes en 1875, à l’occasion de l’anniversaire de Michel-Ange, en témoignent de manière éloquente. Plusieurs fois le cortège d’honneur à tra­

vers la ville est décrit comme une procession religieuse, le voyage dans la ville sur l’Arno comme un pèlerinage vers la beauté. On attribue à l’artiste l’épithè­

te d’un « surdoué de l’esprit », sa création bénie se répand « au plus saint Jour d’Expiation » sur toute l’humanité, son génie se dévoile dans des chefs- d’œuvre divins26.

Mais l’apothéose de Michel-Ange comporte le risque de mettre l’artiste vénéré dans un firmament inaccessible ; la comparaison avec lui pourrait deve­

nir trop honteuse pour la propre réalité historique. C’est pour cela qu’on s’ef­

force, dans un stratagème quasiment compensatoire, d’équiper le héros divin d’autant de vertus civiles possibles. Il en résulte cependant un certain nivelle­

ment de caractère parce que la divinité est réduite à une bonhomie petite- bourgeoise. Michel-Ange doit être maintenant tout à la fois : l’artiste solitaire luttant pour l’inspiration et l’artiste convivial qui crée des chefs-d’œuvre avec légèreté dans le cercle de ses amis ; rigoureux et plein de clémence ; regardant l’antique et introduisant la modernité ; titanique et innocent comme un enfant ; en somme le génie divin et le bourgeois florentin exemplaire, celui qui avait défendu héroïquement la ville en 1529 contre la prepotenza straniera.

Dans une sorte de double renversement, les admirateurs allemands semblent avoir projeté dans l’artiste les qualités qui dans la perception étrangère pas­

saient justement pour typiquement allemandes, c’est-à-dire la profondeur d’esprit (« Tiefsinn »), un tempérament marqué et concentré, une disposition mélancolique et grave, une réflexion profonde, un esprit qui tend à la méta­

physique (« dem Transzendentaltalent zugewandt »), soit un penchant vers l’intériorité auparavant rarement attribué à Michel-Ange dans la littérature

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artistique. L’historien de l’art anglais, Walter Pater, souligne cette disposition dans son livre The Renaissance. Studies in Art and Poetry en 1873 : Michel- Ange y apparaît en apothéose au ciel de l’art, « with a genius spiritualised by the reverie of the middle âge, penetrated by its spirit of inwardness and intros­

pection, living not a mere outward life like the Greek, but a life full of intima- te expériences, sorrows, consolations »27. Seulement des œuvres d’art capables de dévoiler les pensées les plus secrètes et sublimes de leur créateur sont dignes d’exprimer son âme délicate et sensible, pleine de « sentiment » et

« grave and temperate sweetness »28.

Quand le culte de Michel-Ange s’atténue à la fin du XIXe siècle, ses derniers éclats anticipent néanmoins une nouvelle orientation peu intériorisée. Par la suite, les métaphores enthousiastes célébrant une race de héros de sang pur se multiplient, par exemple dans la lettre de félicitation de l’académie de Berlin à la ville de Florence : « Diese Weisung des künstlerischen Strebens auf Macht und Mannheit hin môge ein Schild der Abwehr sein gegen andringende Rich- tungen des Zeitalters, gegen Ermattung und Entartung ». Ce ne fut sûrement pas par hasard que dans cette période la popularité du David montait considé­

rablement auprès des amateurs d’art : « Wandelte irgendwo in einer hôher gearteten Welt ein Geschlecht von Riesen, gewib, ihre Jugend würde sich sol- cher Schenkel und Hüften, solcher fest packenden Hânde, wie sie dieser herabhangende Arm des David tràgt, zu erfreuen haben »29. Ce garçon géant, manifeste prééminent de la terribilità michelangelesque, fut également le pro­

tagoniste du monument érigé entre 1868 et 1873 sur le Piazzale Michelangelo (cf. Fig. 20). De plus en plus, le David fut hypostasié vers un surhomme au- delà du bien et du mal. Dans l’imminence du XXe siècle atroce, de nouveaux cris de guerre se faisaient entendre dans les éloges de Michel-Ange. Le titan de la sculpture florentine devient maintenant le protecteur de l’art contre sa dégénérescence. Sous sa bannière se rassemblent ses admirateurs facilement corruptibles, qui se soumettent volontiers à tout ce qui est plus grand et plus puissant qu’eux et qui ont par cela abandonné tout jugement critique et en matière politique et sur le champ esthétique.

Au-delà du surhomme nietzschéen : l’approche de l’histoire de l’art

Le soi-disant « renaissancisme hystérique » (« hysterischer Renaissancis- mus ») à la fin du XIXe siècle représentait une variante vitaliste du culte de la Renaissancei0. La vénération du gigantisme des tyrans de cette époque permet­

tait de se distraire de la fadeur du propre présent conçu comme déficitaire.

On souhaitait s’identifier avec un passé imaginaire peuplé de criminels vir­

tuoses. Les scènes historiques de la Renaissance du comte Arthur de Gobineau (publiées pour la première fois en allemand en 1896) semblaient livrer une alternative à la langueur ressentie par les contemporains. Mais le « Gewalt- mensch » burckhardtien” n’est point identifiable avec le surhomme nietz­

schéen transgressif et activiste au-delà du bien et du mal ; tout au contraire, cette dénomination se réfère à l’architecte florentin Leon Battista Alberti,

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exemple d’une approche conceptuelle et rationaliste de l’architecture. Pour Burckhardt, Alberti se montre titanesque et génial parce qu’il maîtrise toutes les matières d’art ; il est capable de créer des œuvres extraordinaires, « bewufi- te, von der Reflexion abhàngige, auf genau berechneten sichtbaren Grundla- gen ruhende Schôpfungen »32.

Tous ces Suisses, Italiens, Anglais et Allemands du XIXe siècle qui écrivaient (et ainsi construisaient) l’histoire de l’art florentin, s’engageaient moins dans la rédaction de l’histoire de l’architecture qu’ils ne s’intéressaient à l’histoire de la peinture à Florence au XVe siècle. Les auteurs prééminents de cette historio­

graphie furent le florentin d’adoption Luigi Lanzi, depuis 1776 conservateur en chef aux Offices, qui rédigea en 1795-96 sa Storia pittorica délia Italia dal risorgimento delle belle arti fin presso al fine del XVIII secolo”, ouvrage de visée historique universelle structuré selon les différentes écoles de peinture en Ita­

lie ; puis Franz Kugler avec son Handbuch der Geschichte der Malerei in Italien seit Constantin dem Grossen (1837), Anna Jameson avec Memoirs of Early Ita- lian Paint ers and the Progress of Painting in Italy. From Cimabue to Bassano, publié en 1845, l’Américain James Jackson Jarves qui publiait ses Art Studies.

The « Old Masters » of Italy. Painting en 1861 ; enfin Joseph Archer Crowe et Giovanni Battista Cavalcaselle avec leurs trois volumes de New History of Painting in Italy (parus en 1864, en allemand entre 1869 et 1876). Cet ouvrage traite en détail de l’école florentine du Quattrocento ainsi que de la renaissan­

ce de l’érudition grâce à la redécouverte de l’antiquité grecque : « The fifteenth century, however, witnessed the restoration of learning and the rekindling of a sacred fire, whose flame has never since been suffered to expire » (vol. 2, p. 271). Dans plusieurs de ces histoires de la peinture florentine, Botticelli figu­

re comme le nouveau héros du XVe siècle. En 1870, dans son Fragment on Bot­

ticelli, Walter Pater l’a caractérisé comme « poetical » et « visionary », plein d’humanité et d’expressivité chaleureuse ; Botticelli possède « méditative subtlety » en même temps que « passion » et « energy ». Selon Pater, il devient ainsi l’incarnation d’un Grec moderne, qui surpasse même les créations artis­

tiques les plus sublimes de la Grèce antique sans jamais perdre sa fraîcheur et son authenticité du début, caractéristiques fondamentales de la première Renaissance florentine :

He has the freshness, the uncertain and diffident promise which belong to the ear- lier Renaissance itself, and make it perhaps the most interesting period in the history of the mind. In studying his work one begins to understand to how great a place in human culture the art of Italy had been called 3\

En plus d’être un objet d’étude de prédilection à la fin du siècle, Botticelli fut aussi le témoin principal de l’esthétisme préraphaélite. Bernard Berenson, Herbert Home et surtout Walter Pater dotaient les esthètes victoriens d’une idéologie convenable en attribuant aux artistes florentins du XVe siècle un pen­

chant morbide prononcé”. Ce mythe décadent de la Renaissance fut cultivé avant tout dans la vaste colonie anglo-américaine de Florence par les roman­

ciers, poètes et littérateurs tels que George Hillard, Nathaniel Hawthorne,

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Thomas Adolphus Trollope, Edward Morgan Forster, Elisabeth Barrett et son mari Robert Browning, George Eliot (alias Mary Ann Evans), Vernon Lee (Violet Paget), Walter Savage Landor, Elenry James, Harriet Monroe et Ezra Pound36. Cette Renaissance imaginaire fut imprégnée de volupté décadente, de sang et d’artificialité. Autour de 1900, l’engouement pour la Renaissance ne sévissait pas seulement dans les nouvelles qui traitaient des sujets de cette époque rendue avec un érotisme sombre, mais aussi dans les intérieurs tarabis­

cotés des villas en style Renaissance ou néo-Renaissance, habités par les Amé­

ricains capricieux et les Anglais « spleen ». Dans cette communauté des étran­

gers avides de la nouvelle religion de la beauté, se déroulaient des fêtes où les dames huppées arrivaient costumées en Botticelli avec des coiffures à la Ghir- landaio. La gazette des esthètes étrangers à Florence, le Marzocco, avait emprunté son nom et son emblème à la fameuse sculpture de Donatello sur la Piazza délia Signoria ; la devise sur la page de titre « Multa renascentur... » illustrait de manière pertinente la nostalgie et les désirs rétrogrades des exilés étrangers vis-à-vis de la Renaissance (Fig. 21).

La seule voix discordante dans cette chorale jubilatoire entonnée par les fanatiques de la Renaissance fut celle de John Ruskin dans son livre Mornings in Florence, being simple studies of Christian art, for English travellers (1881).

Henry James a sévèrement critiqué le ton insupportablement élitiste et morali­

sant de l’auteur dans sa satire splendide Recent Florence. Ruskin oppose le monde imaginaire et idéal qu’il décèle dans les peintures de Cimabue et de Giotto, pleines de sensibilité religieuse et en même temps proches de la vie, à la ville de Florence barbarisée par la modernisation et à la Renaissance elle- même qui, selon Ruskin, se trouve en pleine décadence artistique en compa­

raison avec le Moyen Âge parce qu’à cette époque la modernité prend son essor. Il n’accepte que le premier volume des Vite de Vasari qui couvre la pein­

ture du XIIe et du XIIIe siècle comme manuel de formation esthétique pour les jeunes voyageurs du Nord. Botticelli seul en tant que peintre profondément religieux est épargné de son verdict contre la modernité, contre le manque de profondeur, la vulgarisation d’effets et le sensationnalisme, dont Ghirlandaio fut la première victime.

Dans la colonie germanophone à Florence - dominée par les artistes Arnold Bôcklin, Hans von Marées, Karl Stauffer-Bern, Hans Thoma et Karl Hille- brandt, par les écrivains Paul Heyse et Isolde Kurz ainsi que par les critiques d’art et les historiens de l’art Adolf von Hildebrand, Ernst Steinmann, Adolf Bayersdorfer, Konrad Fiedler, Henry Thode et Aby Warburg - la résistance contre le surhomme nietzschéen et contre la réception esthétisante de la pre­

mière Renaissance se manifestait de plus en plus. Aucun document ne reflète mieux le dégoût que Warburg portait contre la recherche naïve de la beauté sur les traces de Ruskin que sa fameuse citation :

Mit dem diskreten Làcheln innerer Überlegenheit wendet sich der moderne müde Kulturmensch auf seiner italienischen Erholungsreise von so viel banalem Realismus ab ; ihn zieht Ruskins Machtgebot hinaus auf den Klosterhof, zu einem mittelmàBigen Giottesken Fresko, wo er in den lieben, unverdorbenen einfachen Trecentisten sein

LA CONSTRUCTION DE LA RENAISSANCE FLORENTINE AU XIXe SIÈCLE 89

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eigenes primitives Gemüt wieder zu finden hat. Ghirlandajo ist eben kein làndlich murmelnder Erfrischungsquell für Pràraffaeliten, aber auch kein romantischer Was- serfall, dessen toile Kaskaden dem anderen Reisetypus des Übermenschen in den Osterferien, mit Zarathustra in der Tasche seines Lodenmantels, neuen Lebensmut einrauscht im Kampf ums Dasein37.

Les interprétations de Botticelli que propose Warburg, divergent largement de cette attitude hautaine du « surhomme en vacances de Pâques »38. Le point final dans la construction du mythe florentin est marqué par un acte d’institu­

tionnalisation : un groupe de chercheurs libres en histoire de l’art se rassem­

blaient le 16 novembre 1897 dans l’appartement privé de Heinrich Brockhaus pour fonder le « Kunsthistorisches Institut » allemand à Florence. Dans la sui­

te, le mythe florentin fut désenchanté à juste titre par la recherche scientifique objective de l’histoire de l’art allemande.

Notes

‘Je voudrais remercier Olivier Bonfait et Iris Lauterbach qui ont relu et corrigé mon texte.

1 Matteo BURIONI, «Vasari’s Rinascita: History, Anthropology or Art Criticism», in Renaissance?

Perceptions of Continuity and Discontinuity in Europe, c. 1300-c. 1550, sous la dir. de Alexander Lee, Pit Péporté et Harry Schnitker, Leiden/Boston 2010, pp. 115-127.

2 Jacob BURCKHARDT, Geschichte der Renaissance in Italien (vol. 4 de la Geschichte der Baukunst par Franz Kugler), Stuttgart 1868, p. 35.

3 Burckhardt 1868 (note 2), p. 32 ss.

4 Voir pour ceci et pour la suite : CHRISTINE Tauber, «Die Konstruktion der Florentiner Renais­

sance im 19. Jahrhundert», in Florenz ! (catalogue d’exposition), sous la dir. de Silvestra Bietoletti et Jutta Frings, Bonn 2013, pp. 132-141.

3Henry Keazor, «Einîeitung» in Florenz - Rom. Zwischen Kontinuitàt und Konkurrenz, sous la dir. de Henry Keazor, Münster 1998, pp. 9-20 ; RÉGINE BONNEFOIT, « ‘Florentinis ingeniis nil ardui est’: Der Kult des Florentiner Genies. Von der Restauration bis zur Hauptstadt des neuen Kônig- reichs Italien (1865-1870)», in Florenz - Rom, pp. 209-231.

6 Jacob Burckhardt, Briefe, sous la dir. de Max Burckhardt, Basel/Stuttgart 1949-1994, vol. IV, p. 23 : « Mutter und Heimath des modernen Menschen ». JACOB BURCKHARDT, Die Cultur der Renaissance in Italien. Ein Versuch, Basel 1860, 1: «eine Civilisation [...], welche als nachste Mutter der unsrigen noch jetzt fortwirkt».

7 WallaceK. Ferguson, The Renaissance in Historical Thought. Five Centuries of Interprétation, Boston/New York 1948 ; LUCIEN Febvre, Michelet et la Renaissance, Paris 1992 ; The Renaissance in the Nineteenth Century, sous la dir. de Yannick Portebois et Nicholas Terpstra, Toronto 2003.

8 AMEDEO QuONDAM, «William Roscoe e l’invenzione del Rinascimento», in Gli anglo-americani a Firenze. Idea e costruzione del Rinascimento, sous la dir. de Marcello Fantoni, Roma 2000, pp. 249- 338.

9 HANS Baron, The Crisis of the Early Italien Renaissance. Civic Humanism and Repuhlican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny, Princeton 1955 ; Id., In Search of Florentine Civic Humanism.

Essays on the Transition from Médiéval to Modem Thought, Princeton 1988.

10 Marcello Fantoni, «Renaissance Republics and Principalities in Anglo-American Historiogra- phy», in Gli anglo-americani a Firenze 2000 (note 8), pp. 35-53.

" CORNELIA SYRE, «‘Wirken Sie, was Sie vermôgen!’ Die Erwerbungen italienischer Gemâlde in der Korrespondenz mit den Kunstagenten», in « Ihm, welcher der Andacht Tempel bout... » Ludwig I.

und die Alte Pinakothek, München 1986, pp. 41-55 ; Karoline Danz, « Florenz ist die Schazkammer von klassischen Gemalden ». Der Florentiner Kunstmarkt im beginnenden 19. Jahrhundert und die Gemàldesammlung Ludwigs I. von Bayern, Diss. Freiburg i. Br. 2003, http://www.freidok.uni-frei burg.de/volltexte/813.

12 LEO VON Klenze, Memorabilien, vol. 1, fol. 204r° ss., cité d’après STEFFI RôTTGEN, «Florenz in München. Anmerkungen zum florentinischen Baustil unter Kônig Ludwig I. von Bayern», in Auf sdtze zur Kunst.geschichte. Festschrift für Hermann Bauer, sous la dir. de Karl Môseneder et al., Zürich/

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New York 1991, pp. 318-338, ici p. 318 ss. Rôttgen s’oppose à WlNFRIED NERDINGER, «Weder Hadrian noch Augustus - Zur Kunstpolitik Ludwigs I.», in Romantik und Restauration. Architektur in Bayern zur Zeit Ludwigs I. 1825-1848 (catalogue d’exposition), München 1987, pp. 9-16.

15 Rôttgen 1991 (note 12), p. 318 ss.

14 JACOB Burckhardt, Der Cicerone. Eine Anleitung zutn Genuss der Kunstwerke Italiens, sous la dir. de Bernd Roeck, Christine Tauber et Martin Warnke, 2 vol., München/Basel 2001, vol. 1, p. 177.

Dans la traduction française par Auguste Gérard, le « Gewaltmensch », frère cadet du « surhomme nietzschéen » s’est transformé en « génie puissant et dédaigneux » et en « être surhumain » : « Ce palais l’emporte sur toutes les architectures profanes du monde, même les plus grandes, par une impression unique de sublime. Sa position sur un terrain en pente et ses dimensions vraiment consi­

dérables favorisent cet effet, lequel, en réalité, repose essentiellement sur le rapport entre les dimen­

sions mêmes et la constance relative des formes qui se répètent. On se demande quel génie puissant et dédaigneux, avec de telles ressources, a pu éviter ainsi tout ce qui n’était que joli et agréable à l’œil ? - La seule grande variation, à savoir cette restriction de l’étage supérieur destiné à n’occuper que le centre du palais, est déjà d’un effet colossal ; il semble que la distribution de ces masses ait été faite par des êtres surhumains » (p. 90).

15 Burckhardt 1949-1994 (note 6), vol. 1, p. 79 ss.

16 Christine Tauber, «Rechnender Geist oder Formgefühl? Jacob Burckhardt zu Florenz und Rom», in Florenz - Rom 1998 (note 5), pp. 189-208.

17 Jacob Burckhardt, «Bilder aus Italien», in Jacob Burckhardt, Reisebilder aus dem Süden, sous la dir. de Wemer von der Schulenburg, Heidelberg 1928, pp. 56-149, ici p. 131.

18 La légende de la planche 79 dans GRANDJEAN DE MONTIGNY et Famin, Architecture toscane (éd.

de 1815) décrit les Offices vues de l’Arno également en tant que musée des monuments florentins :

« L’architecture, bien qu’elle ne soit pas très pure, présente ici un ensemble de la plus grande magni­

ficence. Il y a très peu d’exemples d’une pareille réunion de monuments dans un si petit espace » (p- 31).

19 Ferdinand Gregorovius, Wanderjahre in Italien, München 1967, p. 32 ; cf. ANDREAS Beyer,

«Im Arsenal anschaulicher Geschichte. Die deutsche kunsthistorische Italien-Forschung vor den In- stitutsgründungen», in Deutsches Ottocento. Die deutsche Wahrnehmung Italiens im Risorgimento, sous la dir. de Arnold Esch et Jens Petersen, Tübingen 2000, pp. 257-272.

70 Gregorovius 1967 (note 19), p. 31 ss. : « Die Geschicklichkeit der meisten Bildsàulen aber setzt sie in ein ererbtes und fortdauerndes Verhâltnis zu den Bürgern. Der Florentiner sieht in ihnen die reiche und grofie Vergangenheit seiner einst freien Stadt verkôrpert und hat diese gleichsam wie eine marmorne Chronik vor Augen ».

21 Jacob Burckhardt, La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. de l’allemand par M. Schmitt, 2e éd., Paris 1906, t. 1, p. 94.

22 U disegno délia città. L’urbanistica a Firenze nell’ottocento e nel novecento (catalogue d’exposi­

tion), Firenze 1986 ; MARCELLO VANNUCCI, Firenze Ottocento, Roma 1992 ; FRANCO Borsi, La capita­

le a Firenze e l’opéra di Giovanni Poggi, Firenze 1970 ; Giuseppe Poggi e Firenze. Disegni di architettu- ra e città (catalogue d’exposition), Firenze 1989 ; OSANNA FANTOZZI MlCALI, La città desiderata.

Firenze corne avrebbe potuto essere: progetti dall’Ottocento alla seconda Guerra mondiale (catalogue d’exposition), Firenze 1992 ; Claudio Paoletti, La linea del tempo. Fatti d’arte e di storia nella Firenze dell’Ottocento, Firenze 2005.

23 Gregorovius 1967 (note 19), p. 45 et 51: « Ohne Zweifel hat keine andere Stadt Italiens mit einer gleich groKen Liebe die geschichtlichen Erinnerungen und Monumente gepflegt, wie Florenz.

[...] es [ist] die Aufgabe einer grofien Zeit [...], selbstàndige Ideen zu schaffen, die einer kleinen Zeit, Monumente zu setzen ».

24 Gregorovius 1967 (note 19), p. 47.

25 Christine Tauber, «‘Mit einem Kranze aus dem Laube unserer hercynischen Walder...’ Bil- dungsbürgerlicher KunstgenuB in Deutschland und das Michelangelo-Jubilâum 1875», Marburger Jahrbuch fur Kunstgeschichte, 30 (2003), pp. 269-287 (avec bibliographie détaillée) ; Michelangelo

nell’Ottocento. Il centenario del 1875 (catalogue d’exposition, Florence), Milano 1994.

“Après avoir acquis un prétendu autoportrait de Raphaël possédé auparavant par la famille noble florentine des Altoviti, Dillis se sert de pareilles métaphores provenant du langage religieux dans une lettre au prince héritier Louis de Bavière du 3 décembre 1808 pour caractériser ce peintre divin : « Ich habe den Kônig von der Mahlerei in meinen Hânden - in deutschen Hânden. [...] Ich habe das Licht der Kunstwelt in meinen Hânden - das die ganze Kunstwelt beseligt hat ; er ist es selbst. Hie- hier hat die Kunstwelt gewallfahrtet, künftig wird die Welt hin nach meinem Vaterland wallen - und loben und verherrlichen den Schôpfer dieser Reliquie. Nicht ein heiliges Gebein bringe ich, den Geist, die Seele eines Kunstheiligen » ; Briefwechsel zwischen Ludwig I. von Bayern und Georg von

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Dillis, 1807-1841, sous la dir. de Richard Messerer, München 1966, p. 64.

27 WALTER Pater, The Renaissance. Studies in Art and Poetry. The 1893 Text, sous la dir. de Donald Hill et al., Berkeley 1980, p. 52.

28 Pater1980 (note 27), p. 71.

25 Carl VON LüTZOW, «Die Michelangelo-Ausstellung in Florenz», Zeitschrift für Bildende Kunst, 11 (1876), p. 26.

50 CHRISTINE Tauber, ‘Jacob Burckhardts ,CiceroneEine Aufgabe zum Geniefen, Tübingen 2000, p. 225 ss. ; AUGUST Buck, Renaissance und Renaissancismus von Jacob Burckhardt bis Thomas Mann, Tübingen 1990.

51 BURCKHARDT 1860 (note 6), p. 139 ; dans la traduction française, p. 173 : « géants intellectuels ».

)2 Burckhardt1860 (note 6), p. 89 ; dans la traduction française, p. 111 : « De même que la plu­

part des États italiens, considérés du point de vue de leur organisation intérieure, étaient des machines savantes (« Kunstwerke »), c’est-à-dire des créations voulues nées de la réflexion, reposant sur des bases visibles et bien calculées, de même leurs rapports entre eux et avec l’étranger devaient être soumis à des règles positives ».

” 3 vol., traduction en allemand par Johann Gottlob von Quandt parue en 1830-1833.

* Pater 1980 (note 27), p. 48.

Bernd Roeck, Florenz 1900. Die Suche nach Arkadien, München 2001 ; Gli anglo-americani a Firenze 2000 (note 8), plus particulièrement intéressants sont les essais de JOHN PFORDRESHER,

«‘Beauty athwart the darkness’: Constructing Florence in Nineteenth-Century Anglophone Writing», pp. 55-77 et de LuiGI Mascilli Migliorini, «Rinascimento fiorentino e crisi délia coscienza euro- pea», pp. 23-34.

,6JOHN Barrie BüLLEN, The myth ofthe Renaissance in nineteenth-century writing, Oxford 1994 ; MichaelL. Ross, Storied Cities: Literary Imaginings of Florence, Venice, and Rome, Westport 1994.

’7 Ernst Gombrich, Aby Warburg. Eine intellektuelle Biographie, Hamburg 1992, p. 147.

w La thèse de Warburg sur Sandro Botticellis „Geburt der Venus" und „Frühling“: eine Untersu- chung über die Vorstellungen von der Antike in der italienischen Frührenaissance parut en 1893.

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i6

16 Gravure d’après le dessin de Claudius Popelin, Le Génie de Florence, in Charles Yriarte, Florence I ans 1881 p. i , à M nich avec la Feldherrnhalle (Friedrich von Gartner,

" SL - .«« (München, Sud—, c,... ->■„

PII638)

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« Kônigsbau » de la résidence de Munich et place du théâtre, 1826-35.

Photographie par Josef Albert, vers 1860

19. Page de titre de la première livraison d’Auguste Grandjean de Montigny et d’Auguste Famin, Architecture Toscane, Vue de la porte du vieux palais et de la place du Grand Duc à Florence, 1815

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20 ■ Étienne Gabriel Bocourt, Piazzale Michelangelo et le monument avec la réplique du David, in Le Monde illustré du 25 septembre 1875 (Michelangelo nell’Ottocento. Il centenario del 1875, Milano 1994, p. 35, fig. 3a)

21 ■ Page de titre de II Marzocco, I, n° 4 du 23 février 1896

(http://www.vieusseux.it/coppermine/thumbnails.php?album=i33)

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