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Une musique du monde faite en Allemagne?

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Academic year: 2022

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

ÉCOLE DOCTORALE MUSIQUE, HISTOIRE, SOCIÉTÉ CENTRE GEORG SIMMEL – CNRS/UMR 8131

UNIVERSITÉ HUMBOLDT – BERLIN

INSTITUT D’ETHNOLOGIE EUROPÉENNE

Thèse préparée en co-tutelle pour l’obtention du grade de docteur en Musique, Histoire, Société (EHESS) et Ethnologie Européenne (Université Humboldt)

Talia BACHIR-LOOPUYT

UNE MUSIQUE DU MONDE FAITE EN ALLEMAGNE?

Les compétitions Creole et l’idéal d’une société plurielle dans l’Allemagne d’aujourd’hui.

Sous la direction de Michaël WERNER et Wolfgang KASCHUBA Membres du jury :

Philip BOHLMAN, Professeur à l’Université de Chicago, rapporteur Nicole COLIN, Professeure à l’Université d’Amsterdam

Etienne FRANCOIS, Professeur à la Freie Universität (Berlin), rapporteur

Wolfgang KASCHUBA, Professeur à l’Université Humboldt (Berlin), Directeur de thèse Denis LABORDE, Directeur de recherches au CNRS

François PICARD, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne

Michaël WERNER, Directeur de recherche au CNRS, Directeur d’études à l’EHESS, Directeur de thèse

Soutenue le 28 janvier 2013 à l’EHESS Paris

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Pour mes parents et pour Thomas En mémoire de Damien

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Remerciements

J’ai appris l’allemand ainsi que le font les bons élèves : en apprivoisant d’abord la belle régularité des déclinaisons, de la conjugaison et de la syntaxe puis en découvrant, au lycée et dans les classes préparatoires, des mondes de littérature et de pensée – Siegfried Lenz, Stefan Zweig, Georg Büchner, Ernst Jünger, Elias Canetti et d’autres. L’allemand demeure jusqu’à aujourd’hui pour moi la langue de la culture : une langue que je lis plus aisément que je ne la parle, une langue que j’apprécie parce qu’elle est le support d’œuvres de littérature et de pensée.

C’est aussi la langue d’une arrière-grand-mère et d’un grand-père disparus qui ont fui l’Allemagne dans ses heures sombres et dont les descendants ont adopté le français ou l’anglais comme langues maternelles. C’est l’envers de cette autre langue dont on me dit que je l’aurais jadis parlée mais dont je peine à retrouver la trace malgré mes efforts pour l’apprendre : l’arabe algérien, la langue du quotidien, celle de mon père, de mes oncles, tantes et cinquante-trois cousins et cousines dont certains parlent heureusement aussi le français.

Le fait que je quitte le terrain familier de la culture littéraire germanique pour porter mon attention à l’Allemagne d’aujourd’hui avec les outils des sciences sociales n’allait pas de soi. Lorsque, tout juste reçue à l’agrégation d’allemand, je suis partie en Turquie pour « faire autre chose » (de la musique ottomane et un stage de médiation culturelle à l’Institut français d’Istanbul), je ne pensais pas qu’il y aurait matière à en tirer un enseignement sur l’Allemagne.

Au retour de ce séjour, Michael Werner a accueilli et encouragé, avec l’ouverture et l’attention bienveillante qui le caractérisent, un premier projet de recherche sur les musiciens turcs de Berlin. Je lui sais gré de sa confiance, de son accueil et de ses conseils qui m’ont permis de bénéficier de l’environnement unique de l’Ecole Doctorale « Musique, Histoire et Société » de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et de découvrir tout un monde de recherches franco-allemandes. Je le remercie aussi de m’avoir aiguillée vers Denis Laborde qui a co-dirigé cette première enquête puis mes recherches doctorales en stimulant de manière décisive mon intérêt pour la recherche et pour les sciences sociales. Ses conseils de lecture permanents, ses critiques exigeantes et souriantes m’ont convaincue de la difficulté et de l’importance qu’il y a à bien décrire les mondes dans lesquels nous vivons et à résister au confort des idées reçues. A l’Institut d’Ethnologie Européenne de l’Université Humboldt à Berlin, Wolfgang Kaschuba a accueilli avec une attention éclairée cette enquête, bien que la Weltmusik ne soit pas considérée en Allemagne comme un enjeu sérieux de réflexion. Ses remarques, ses relectures et nos entretiens m’ont amenée sur bien des points à clarifier ma pensée et je l’en remercie. Je remercie également Philip Bohlman, Esteban Buch, Jacques Cheyronnaud, Jean-Louis Fabiani, Etienne

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François, Martin Greve, Michi Knecht, Christian Lallier, Bruno Latour, Gérard Lenclud, Hélène Miard-Delacroix, François Picard, Iris Schröder, Patrice Veit, Raimund Vogels, Yves Winkin pour les encouragements et conseils prodigués au fil de ce parcours. Les travaux de Christian Kaden, avec qui nous avions brièvement échangé au début de ma thèse et que j’ai réellement rencontré bien plus tard, continueront d’inspirer mes recherches.

Avec les participants du séminaire « Création musicale, world music, diversité culturelle » dirigé par Denis Laborde à l’EHESS, nous avons enquêté pendant six années sur des festivals de France, d’Allemagne, du Mali, du Brésil ou d’Ouzbékistan, parcouru les théâtres des beaux quartiers parisiens, les centres sociaux et salles de concert de la « banlieue 9- 3 » aussi bien que des fondations distinguées vouées à l’avant-garde. Nous avons travaillé à décrire ces mondes pluriels et à mettre en œuvre un dialogue avec leurs acteurs. Cette dynamique collective et les questionnements de chacun et chacune ont nourri mes réflexions de telle sorte que que je me demande parfois si les idées que j’expose dans cette thèse viennent bien de moi. Je remercie tout particulièrement Marta Amico, Lucia Campos, Emilia Chamone, Laura Jouve-Villard, Chantal Latour, Lucille Lisack, Florabelle Spielmann, Sandrine Teixido pour leur intelligence et leur détente, ainsi qu’Elise Lanoë, Mathieu Trachman, Marc Loopuyt, François Feuillet, Theresa Schmitz pour leur relecture attentive. Je garde à jamais un souvenir ému de la curiosité sans pareille de notre cher ami disparu Damien Verger.

Cette recherche a bénéficié du soutien de plusieurs institutions franco-allemandes (le CIERA, le Centre Marc Bloch, le DAAD, l’Université Franco-allemande et le collège doctoral franco-allemand EHESS/Université Humboldt) et de l’atmosphère stimulante des ateliers de recherche organisés par ces institutions : grâce auxquels j’ai pu rencontrer Elsa Rieu, Sara Iglésias, Gesa zur Nieden, Anna Langenbruch, Anne Seitz et mener, avec les jeunes chercheurs rassemblés dans l’aventure de la publication Musiques-contextes / Musik-Kontext, un dialogue fructueux. Quelques années plus tard, ce fut celle du colloque Musiques en démocratie / Wie klingt Demokratie ? organisé avec Elsa Rieu, Christina Kaps et Lena Van der Hoven (Philharmonie, novembre 2015). Le séminaire de l’Institut d’Ethnologie Européenne de l’Université Humboldt m’a permis de mesurer l’exigence intellectuelle des ethnologues et sociologues allemands et de rencontrer Tanja Bogusz et Anne Meyer-Rath avec qui nous n’avons pas fini d’interroger les paradoxes de nos mondes scientifiques. Enfin, l’aventure du laboratoire-junior ENS « Penser l’improvisation » initiée par Clément Canonne et les conversations quotidiennes avec Pierre Saint-Germier m’ont permis de prendre conscience de l’importance des questions de cognition et du travail qu’il me reste à faire pour clarifier les fondements logiques de ma pensée.

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Cette recherche n’aurait pas non plus pu aboutir sans l’aide apportée par les acteurs des festivals Creole. Je suis tout particulièrement redevable à Birgit Ellinghaus pour le temps précieux qu’elle m’a consacré, pour sa confiance et son insistance à me mettre à l’épreuve en m’impliquant dans des débats et des jurys. Elle m’aura convaincue, avec quelques autres acteurs du monde des musiques du monde, que les médiateurs culturels peuvent faire preuve d’une créativité et d’un esprit critique qui n’ont rien à envier à ceux des artistes et des chercheurs. Je remercie également tous les membres du collectif d’organisation de Creole, les musiciens, les jurés des compétitions, les chercheurs et les spectateurs des festivals qui m’ont accordé des entretiens, en particulier ceux avec qui j’ai dialogué de manière plus régulière : Andreas Freudenberg, Martin Greve, Raimund Vogels, Michael Rappe, Franziska Weyrich, Ulrich Doberenz et (du côté des musiciens) Mariana Sadovska, Bernard Mayo. Du côté français, j’ai beaucoup appris des discussions avec François Bensignor, Kamel Dafri, Gilles Delebarre, Cherif Khaznadar, Fabienne Bidou et les membres de Zone Franche, Françoise Desgeorges, Martial Pardo et Mahjouba Mounaïm, Yaël Epstein et les membres de l’équipe du CMTRA et je continue encore et toujours à apprendre des rencontres et échanges qui ont lieu chaque année dans le cadre des festivals Haizebegi à Bayonne.

C’est à mes parents que je dois le plus : eux qui ont su me transmettre leur intérêt pour les arts, la culture et même la politique, eux qui ont aussi encouragé et accompagné avec une patience inégalable mes études et mon entrée dans le monde professionnel. Avec mon frère, le plus fin des psychologues de notre famille, ils constituent les soutiens les plus solides que l’on puisse imaginer. Enfin, il y a Thomas : qui est lui aussi un acteur du monde des musiques du monde, certes plus critique que je ne le suis, et qui m’a en tout cas appris par son insatisfaction permanente et son exigence en matière de son, de lutherie, d’articulation et d’écoute, à défaire l’évidence des formats qui ont cours dans nos mondes de musique. Sa présence et sa patience, sa disponibilité à l’égard de Magda puis d’Anaëlle m’ont permis de mener à bien la rédaction de cette thèse en usant (et en abusant) de ce temps précieux qu’il a libéré afin que je puisse écrire, réécrire, lire et relire ce travail. Je le remercie du fond du cœur et lui dédie cette thèse.

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SOMMAIRE

Volume 1 : texte, bibliographie et résumés

INTRODUCTION ... 6

WELTMUSIK, WORLD MUSIC, MUSIQUES DU MONDE : UNE MEME CATEGORIE ? ... 7

TOUT UN MONDE DE MUSIQUES : LES COMPETITIONS CREOLE ... 12

LA FIN DES CULTURES ?L’ALLEMAGNE ET LIDEAL DUNE SOCIETE PLURIELLE ... 16

CHAPITRE 1 ... 22

UN FESTIVAL POUR OBJET ... 22

UN LIEU DE MUSIQUES ET DE CULTURES ... 24

QUAND COMMENCE CREOLE ? ... 29

D’UNE QUESTION DINFORMATION AU PROBLEME DU CONCERNEMENT ... 33

AVANT LES CONCERTS : LA FABRIQUE COLLECTIVE DUN SON DE WELTMUSIK ... 41

LE FESTIVAL, UN MARATHON ... 46

DELIBERATIONS ... 50

LES CLOTURES DU FESTIVAL ... 55

QUEN ONT-ILS PENSE ? L’ESPRITDU FESTIVAL EN QUESTION ... 59

OU EST « LE FESTIVAL » ? ... 65

CHAPITRE 2 ... 68

L’ÉVÉNEMENT ET LA STRUCTURE : UN CYCLE DE COMPÉTITIONS CREOLE ... 68

CREOLE EN RHENANIE-WESTPHALIE ... 75

CREOLE BASSE-SAXE &BREME 2006 : SOCIO-CULTURE, FONDATIONS ET ETHNOMUSICOLOGIE APPLIQUEE ... 85

LA WELTMUSIK A L’EST : INCERTITUDES BUDGETAIRES ET ESPRIT DE SOLIDARITE ... 103

BAVIERE,BADE-WURTEMBERG,HESSE COMPARER LES FESTIVALS CREOLE ? ... 116

JEUX DECHELLES : LE LOCAL ET LE GLOBAL, LE REGIONAL ET LE FEDERAL ... 125

CHAPITRE 3 ... 132

DANS L’INTIMITÉ DE L’ORGANISATION ... 132

LES CONDITIONS DE LOBSERVATION ... 136

UN BILAN MOUVEMENTE (BAD WILDUNGEN, SEPTEMBRE 2007) ... 139

LA FORMATION DU TRÄGERKREIS ... 148

PORTRAITS DES ORGANISATEURS ... 151

UN TRIANGLE SOZIOKULTUR,INTERKULTUR,WELTMUSIK ... 159

LE NOM ET LORTHOGRAPHE : CREOLE.PREIS FÜR WELTMUSIK AUS DEUTSCHLAND ... 163

LA « MARQUE »CREOLE ... 172

LA GESTION DES TRACES : LES DVD DU FESTIVAL ... 175

CREOLE DANS LE TEMPS : QUELQUES TRANSFORMATIONS (2006-2011) ... 178

CHAPITRE 4 ... 189

LA QUESTION DE LA WELTMUSIK ... 189

PEUT-ON ECRIRE UNE HISTOIRE DE LA WELTMUSIK ? ... 191

DATE DE NAISSANCE PRESUMEE :1987 ... 197

LE MARCHE DE LA WORLD MUSIC : UNE CULTURE MARQUEE PAR LEMPREINTE ALLEMANDE ... 202

WOMEX 2007,SEVILLE ... 208

L’« ESOTERISME » EN QUESTION : LE CAS BERENDT ... 213

SAUVEGARDE VS CREATION ?L’ETHNOMUSICOLOGIE FACE A LA WORLD MUSIC ... 217

MUSIQUES DICI ET DAILLEURS :VOLKSMUSIK, FOLK ET WELTMUSIK ... 229

UN PRIX DE MUSIQUES DU MONDE ? ... 232

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CHAPITRE 5 ... 237

COMME ON ENTRE EN COMPETITION : L’APPEL À CANDIDATURES ... 237

L’AVIS DE CONCOURS ... 240

LA PROSPECTION DE LA « SCENE » ... 247

LES DOSSIERS ... 259

PORTRAITS DE CANDIDATS ... 267

MOTIVATIONS ECONOMIQUES ET VALEURS PARTAGEES ... 275

LES PRISES DANS LAPPEL :WELTMUSIK, CREOLE ET UNE IDEE DE « LA MUSIQUE » ... 277

FALLAIT-IL PARTICIPER ? LE DILEMME DES MUSICIENS DE PHUNK MOB. ... 280

UN DOSSIER :ALPCOLOGNE ... 286

« IL FAUT BIEN SE DEFINIR » : STRATEGIES DE PRESENTATION DE SOI ... 289

CHAPITRE 6 ... 299

MUSIQUES EN POLITIQUE ... 299

LE CAS RHÉNAN ... 299

CREOLE EN RHENANIE-WESTPHALIE : DES CONDITIONS PRIVILEGIEES ... 303

UN ART DE LA PROGRAMMATION ... 310

LA DISPUTE (BAD WILDUNGEN 2007) ... 316

LES EVENEMENTS PARALLELES (DORTMUND,3-7 SEPTEMBRE 2008) ... 320

CULTURE VS INTERCULTURE ?LE DILEMME DE CLAUS LEGGEWIE ... 326

CHAPITRE 7 ... 336

COMPARER L’INCOMPARABLE ... 336

LES PRESELECTIONS OU LART DE COMPOSER UN PROGRAMME DE FESTIVAL ... 340

LE « PROBLEME DES JURYS » : OBSERVATION DES DELIBERATIONS LORS DU PREMIER CYCLE CREOLE (2006-2007) ... 350

RETOUR SUR LE JURY DE BERLIN : DES LANGAGES INCONCILIABLES ? ... 357

LA FINALE OU LA REDUCTION DES INCERTITUDES ... 362

UN JURY DE LINTERIEUR : UNE BATAILLE (CREOLE RHENANIE-WESTPHALIE 2008) ... 367

CHAPITRE 8 ... 381

LE MOMENT DU FESTIVAL ... 381

UN TEMPS ET UN LIEU :CREOLE 2007,17-20 MAI, DOMICIL DORTMUND ... 385

UN VOYAGE EN MUSIQUES ... 392

« MARAMME ! » OU LA MISE EN SCENE DU TEMPERAMENT ITALIEN ... 396

UN ART DE LA RE-COMPOSITION : LE QUATUOR VOCAL NINIWE ... 403

« IKI DÜNYA » ET LA QUESTION DE LA MUSIQUE TURQUE EN ALLEMAGNE ... 410

HUMOUR SONORE : LA BLAGUE BAVARO-MONGOLE D’EGSCHIGLEN ET LA QUESTION DES IDENTITES CULTURELLES ... 420

DE LA BEAUTE DUN CONCERT, DUN FESTIVAL, DUN MORCEAU DE MUSIQUE : LES CADRES DE LEXPERIENCE ... 428

LES CLOTURES OU LES PARADOXES DE LA RECONNAISSANCE ... 437

CLÔTURE ... 450

BIBLIOGRAPHIE ... 457

RESUMES (FRANÇAIS, ANGLAIS, ALLEMAND) ... 477

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INTRODUCTION

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- INTRODUCTION -

Le 7 mai 2011 paraissait dans le quotidien berlinois Die TAZ un article intitulé « La fin de la musique du monde (telle que nous la connaissons) »1. L’auteur Daniel Bax, spécialiste des questions d’intégration et d’immigration, y évoquait des styles musicaux actuels venus des

« ghettos urbains » de Paris et d’Abidjan qu’il interprétait comme le symptôme d’un

« changement de paradigme » :

« La saine et douce musique du monde d’hier est aujourd’hui battue en brèche par des sons nouveaux et dérangeants », selon le musicologue suisse Thomas Burkhalter qui a pour cela inventé le terme de « Weltmusik 2.0 ». Mais ce concept est-il encore valable ? L’origine (der Migrationshintergrund2) de la musique n’est souvent même plus perceptible, elle est devenue depuis longtemps le produit hybride d’une industrie culturelle transnationale. La station de radio Funkhaus Europa (WDR) qui donne le ton en matière de sonorités globales en Allemagne a pour cela décidé de renoncé tout à fait au terme de Weltmusik et de rassembler la nouvelle diversité sous le concept consensuel de global pop.

Quelques mois auparavant, les organisateurs de la compétition Creole, un cycle de festivals organisé depuis 2006 en différents lieux d’Allemagne, avaient annoncé un changement d’intitulé similaire. Cette manifestation dont j’ai suivi les scansions et les transformations depuis sa création ne récompense plus des ensembles de « musique du monde d’Allemagne » (Weltmusik aus Deutschland) mais des ensembles de « musique globale d’Allemagne » (globale Musik aus Deutschland). L’objet de ma thèse a changé de nom, soit. Mais qu’est ce qui a changé exactement ? De quoi cette « fin de la Weltmusik » est-elle la fin et pour qui ?

Weltmusik, world music, musiques du monde : une même catégorie ?

« Das Ende der Weltmusik (wie wir sie kennen) » : dans cette parenthèse se loge un implicite dont il s’agit ici de faire un enjeu de questionnement. Et tout d’abord un problème de traduction : en Allemagne comme en France, en Angleterre comme au Brésil ou au Mali, il existe aujourd’hui un genre musical qu’il est convenu d’appeler « musique(s) du monde » et dont on considère qu’il peut être défini de la même manière quel que soit l’endroit où l’on se trouve. La world music (dans les pays anglo-saxons), les musiques du monde (en France), la

1 « Das Ende der Weltmusik (wie wir sie kennen) », Tageszeitung, 7 mai 2011. Sauf mention contraire, je suis l’auteure de toutes les traductions qui suivent.

2 Le terme de Migrationshintergrund (littéralement : arrière-plan migratoire) vient des études statistiques visant à identifier l’origine des personnes immigrées en Allemagne et de leurs descendants, qu’ils aient ou non la nationalité allemande. Aujourd’hui entré dans le langage courant, ce terme n’est plus seulement utilisé pour des personnes mais parfois aussi des objets ou phénomènes culturels.

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- INTRODUCTION -

Weltmusik (en Allemagne ou en Autriche), ce sont grosso modo les musiques qui viennent d’ailleurs : soit une catégorie dont le contenu variera nécessairement selon le lieu et l’histoire de chaque pays (« Ah, il y a si peu de musiciens africains chez nous. Ce n’est pas comme en France ! », remarquaient parfois mes interlocuteurs) mais que l’on considère cependant comme relativement traduisible.

Quelle est maintenant cette « musique du monde telle que nous la connaissons » à laquelle fait référence Daniel Bax ? Elle est évoquée en quelques mots comme une toile de fond dont se distinguent les « sonorités globales » actuelles :

Quiconque est soucieux de sa réputation en tant qu’amateur de musique (Musik-Hipster) doit aujourd’hui se tourner vers les métropoles de Caracas, Lisbonne, Kinshasa. Les labels de Franc- fort comme Souljazz, Soundways, Analog Africa de Francfort créent aujourd’hui la tendance en exhumant des grooves dorés des coins les plus reculés du monde tandis que leurs collègues de Sublime Frequencies, Man Recordings à Berlin ou Outhere à Munich se tournent vers les ghettos urbains du présent.

Ces musiques sont à mille lieux de la pure Weltmusik popularisée en leur temps par Ry Cooder, Paul Simon, Peter Gabriel : elles sont bien trop vulgaires, trop commerciales, trop cheap (trashig3). Les genres urbains comme le « coupé-décalé » détruisent l’illusion romantique d’une musique africaine conçue comme l’envers de la pop anglophone. […] Nous assistons à un changement de paradigme.

La « pure musique du monde » dont il est ici question n’est pas tout à fait inconnue en France. Ry Cooder, Paul Simon, Peter Gabriel – on pourrait poursuivre la liste en citant Brian Eno, David Byrne, Don Cherry, le groupe Deep Forest – sont des artistes anglo-saxons qui ont acquis une renommée internationale dans les années 1980 et 1990 et que l’on associe aujourd’hui à une conception de la musique teintée de résonances new age4 : un éden musical5 transcendant les appartenances culturelles et les frontières politiques, une illusion romantique qui n’aurait plus lieu d’être. Or cette idée qu’il existerait quelque chose comme des cultures musicales « pures », les projets de fusion et le grand rêve de réhabilitation de l’Occident par la musique de l’autre – tout cela relèverait du passé. Un amateur de musique à la page (Musik- Hipster) ne croit plus, aujourd’hui, en cette idée « saine et douce » de la musique dont le voile d’illusion a entretemps été dissipé par de nombreuses controverses. Le « nous » dans lequel s’inclut Daniel Bax fait appel à une connivence de la part de lecteurs qui savent bien aujourd’hui que ces croyances ont fait leur temps : le monde a changé, il est devenu « global », « hybride »,

« créole » au point de miner cette distinction entre « nous » et « les autres » qui fondait la

3 Adjectif dérivé du terme anglais trash (« ordure »), entré dans le langage familier en allemand. Il s’agit, selon la définition qu’en propose Wikipédia, d’un « concept central de la post-modernité qui désigne un produit culturel peu exigeant sur le plan intellectuel mais dont on apprécie justement l’aspect non intellectuel ». (Source : http://de.wikipedia.org/wiki/Trash)

4 Le terme new age fait référence à un ensemble d’auteurs et de mouvements dont la vocation est de transformer les individus par l’éveil spirituel. Cf. infra, chap. 4 sur le cas de J. Berendt.

5 L’expression est de Denis Laborde (Les musiques à l’école, Editions Bertrand Lacoste, 1998, p. 45).

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- INTRODUCTION -

catégorie de musique(s) du monde. Cette rhétorique n’est pas spécifique à l’Allemagne. Elle se retrouve ailleurs, sous la plume de musiciens ou opérateurs culturels6.

Mais là s’arrête l’entente : parce qu’en Allemagne comme ailleurs, les implicites sur lesquels se fondent ces critiques ne vont pas de soi. Tous les amateurs de musique ne se soucient pas de leur réputation de Musik-Hipster (soit en tant qu’amateur qui se tient au courant des tendances musicales et théories de la culture en vogue). Pour certains, l’amour de la musique va au contraire de pair avec une distanciation à l’égard des modes. Tous ne limitent pas non plus la world music aux exemples évoqués par Daniel Bax. Enfin, les connaisseurs de l’histoire de la notion de Weltmusik pourront aussi objecter que le doute sur le label n’est pas nouveau mais qu’il est à peu près aussi ancien que le mot lui-même7. Depuis que le terme est apparu dans la langue allemande (sous la plume d’un musicologue appelé Georg Capellen, en 1906) et de manière accrue, depuis qu’a émergé un réseau international d’acteurs fédérés autour de cette catégorie (dans les années 1980), de multiples voix se sont élevées pour mettre en cause cette appellation. Le tournant dont parle Daniel Bax n’est pas vraiment un tournant : la catégorie de Weltmusik coexiste depuis déjà longtemps avec de multiples autres appellations, anglaises (world music, global pop, world beat, world fusion, roots…) et allemandes (traditionnelle Musik, Volksmusik, Folk, et plus récemment Weltmusik 2.0, creole Musik, globale Musik etc).

A ce stade, une foule de problèmes surgissent pour les chercheurs qui décident de prendre pour objet les catégories de musiques du monde, de Weltmusik ou de world music. Un problème de délimitation tout d’abord, que Denis Laborde formule ici à propos du cas de la France :

Faut-il, par exemple, inclure dans la world music la production ethnomusicologique ou les musiques traditionnelles occidentales ? Faut-il, au contraire, tracer des barrières fiables et ériger, par exemple, la technologie acoustique en critère définitoire : ne relèveraient alors de la world music que ces produits de haute technologie que sont les « musiques du monde » revisitées par le synthétiseur et enregistrées dans les studios parisiens ou londoniens, seuls pourvoyeurs de labels ? La démarche taxinomique est malaisée, incertaine, mais chacun s’en accommode. En l’absence d’un cadre définitoire consensuel, la notion fonctionne en régime d’implicite, et elle fonctionne bien. Le syntagme et la série des synonymes semblent en effet dotés d’un incontournable caractère opératoire. Chacun voit ce dont il s’agit dès lors qu’il est question de world music. (Laborde 2008, p. 47-48)

Suivant ces réflexions, je ne chercherai pas pour lors à spécifier davantage le champ des musiques couvert par le terme allemand de Weltmusik mais je partirai plutôt de l’hypothèse

6 En France, c’est la revue Mouvement qui s’est fait le relais de cette mise en doute en publiant deux articles de Frédéric Deval, responsable du domaine des musiques orales et improvisées à l’Abbaye de Royaumont : « Les musiques du monde sont mortes, vive le monde des musiques ! » (Mouvement, 2008/48) et « Musiques, la fin des caté-gories ? » (Mouvement, 2009/52).

7 Voir par ex. la réponse de Bernhard Hanneken (directeur du festival TFF) à cet article dans une conférence intitulée « La Weltmusik : un genre ‘risible’ ? » (Berlin, creole Branchentreff, septembre 2009) commentée au chapitre 4.

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- INTRODUCTION -

suivante : si cette catégorie s’est imposée en Allemagne, c’est notamment en vertu de ce flou définitoire qui lui permettait d’accueillir un vaste spectre de musiques, de cette capacité à

« catalyser un ensemble d’idées reçues sur le monde, la culture, la musique, la tolérance » (ibid.) et par là à constituer un support pour le débat. En France, ce débat a notamment pris pour cible l’appellation anglaise de world music dénigrée comme une « opération de marketing du business anglo-saxon », une entreprise « d’uniformisation des pratiques culturelles » contre laquelle certains critiques ont brandi l’étendard des « musiques du monde », au pluriel et en français8.

En Allemagne, la situation est assez différente. Même si l’appellation anglaise world music coexiste ici aussi avec une appellation vernaculaire (Weltmusik), elles ne s’articulent pas de la même manière. L’opposition n’est pas aussi marquée dans les usages notamment parce que l’opposition singulier / pluriel ne fonctionne pas : le terme Musik tout comme celui de

« music » ne se mettent généralement pas au pluriel. Lorsque les locuteurs allemands distinguent la world music et la Weltmusik9, ce n’est pas nécessairement sur la base de ce partage familier aux Français entre ce que l’on imagine être « le marché » (un empire anglo-saxon régi par l’appât du gain) et les cultures du monde10. Enfin, la Weltmusik n’a pas la même légitimité que les « musiques du monde » en France ainsi que n’ont cessé de me le rappeler mes interlocuteurs au cours de mon enquête : « En France, la situation des musiques du monde11 est tellement plus facile ! Elles sont mieux reconnues. Il y a des subventions, il y a le Bureau Export de la Musique. La presse s’y intéresse, etc. » – ces remarques récurrentes, en dépit des multiples objections que j’ai pu y trouver sur le moment, soulignent une différence dont j’ai finalement appris à tenir compte. En Allemagne, les acteurs du monde de la Weltmusik ont coutume de se percevoir comme un petit monde à l’écart du reste de la société et du monde de la musique : ce qu’ils appellent une « Nische », soit un secteur minoritaire dont il importe notamment de savoir comment il peut continuer à subsister. De là vient que surgissent certaines questions que l’on ne se pose pas en ces termes en France, telles que : la Weltmusik doit-elle se fondre dans le monde de « la pop » ou doit-elle faire partie du secteur de la musique légitime : la « E-

8 Selon Philippe Constantin (agence Mango) et Chérif Khaznadar (Maison des cultures du monde de Paris), cités d’après Laborde 2008, p. 49.

9 Dans les dictionnaires spécialisés rédigés en allemand, les auteurs des articles « Weltmusik » expliquent généralement que le terme est d’abord apparu en Allemagne au début du XXème siècle sous la plume du musicologue et compositeur Wolfgang Capellen, puis a fait l’objet de différents usages (en particulier dans le champ de la musique savante contemporaine et du jazz) avant d’être concurrencé à partir des années 1980 par la notion anglaise de world music. Dans les usages contemporains, la catégorie de Weltmusik englobe aussi bien les styles de « fusion », les « expérimentations multiculturelles », les « éditions d’archives et d’enregistrements de terrain », « les musiques traditionnelles et les musiques populaires locales » (Franzen 1996).

10 Ceci parce qu’ils n’ont pas le même rapport à « l’économie » que leurs voisins français. Voir sur ce point Grosser 2002.

11 Mes interlocuteurs usaient en général du syntagme français même s’ils ne maîtrisaient pas cette langue.

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- INTRODUCTION -

Musik »12 ? De là vient aussi cette idée répandue aujourd’hui jusque parmi les musiciens réputés pionniers du genre que la Weltmusik constituerait une appellation « risible »13. En France, en dépit des soupçons de chercheurs, médiateurs culturels et musiciens à l’égard de la world music14, en dépit aussi de quelques tentatives récentes de proclamation de « fin des musiques du monde », le label n’est pas considéré comme dépassé et encore moins comme prêtant à rire : les « musiques du monde », au pluriel et en français, sont bien trop liées à l’idée que l’on se fait du modèle multiculturel français, de la lutte contre le racisme, du combat pour les indépendances et la liberté d’expression – toutes valeurs qui continuent donc d’alimenter l’optimisme militant des rédacteurs de médias spécialisés (comme le journal Mondomix), de la presse nationale et des milieux intellectuels de gauche. Une chercheuse venue de France avec cette idée des musiques du monde en tête doit donc apprendre à composer avec une réalité différente en Allemagne : outre le problème de délimitation (qui se pose dans toutes les langues) se posent un problème de traduction (les catégories de Weltmusik et de musiques du monde ne sont pas vraiment équivalentes) et de description (elles ne recouvrent pas la même réalité).

Si je traduis, comme je l’ai fait plus haut, le titre de l’article de Daniel Bax en substituant au terme de « Weltmusik » celui de « musique(s) du monde », je n’aurai donc (bien sûr) pas traduit toute la réalité. Et en particulier, je n’aurai pas rendu compte de ce différentiel de légitimité qui fait que l’idée d’une « fin de la Weltmusik », même si elle peut évoquer des échos en France, y apparaît tout de même comme plus plausible en Allemagne au point de resurgir régulièrement dans la presse et dans les débats publics15. Ainsi que le remarquait non sans malice Bernhard Hanneken, directeur du plus grand festival de Folk et Weltmusik d’Allemagne (le Tanz und Folkfest TFF de Rudolstadt) lors d’une rencontre professionnelle organisée en mai 2011 à Berlin16 : « Nous autres Allemands, nous nous créons bien des difficultés avec ce concept de Weltmusik » (Wir Deutschen tun uns schwer mit dem Begriff Weltmusik). Ce par quoi il entendait que l’on se pose, en Allemagne comme ailleurs, de nombreuses questions sur ce label mais que l’on s’en pose peut-être un peu trop, au point de ne plus voir la réalité qu’il y

12 E-Musik, abréviation de Ernste Musik que l’on oppose communément au domaine de la U-Musik (Unterhaltungsmusik, littéralement : « musique de divertissement »).

13 Cité d’après B. Hanneken, « La Weltmusik : un genre ‘risible’ ? » (conférence lors du Creole branchentreff, septembre 2009, Berlin).

14 Voir par ex. les contributions rassemblées dans Les musiques du monde en question (Coll. 1999).

15 Voir par ex. deux autres articles publiés dans la TAZ : « Tout le contraire de la Weltmusik » (« Das Gegenteil von Weltmusik ») de Klaus Walter paru le 8 mars 2012 qui défend l’appellation « outernational » contre celle de

« musique du monde » ; et « Les superhybrides du cinquième monde » de Uh-Young Kim (9 juin 2011) qui proclame la fin des musiques du monde au sens d’une entreprise de « sauvegarde des espèces menacées du Tiers Monde ». Un article intitulé « Globalista ! » paru dans Die Zeit le 31 octobre 2008 défend un point de vue similaire.

16 Le creole-Branchentreff (C/bra).

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- INTRODUCTION -

a derrière. Or justement, je n’ai considéré pour lors que la réputation du label. Qu’en est-il du fonctionnement effectif de ce monde de musique ?

Tout un monde de musiques : les compétitions Creole

Entre 2006 et 2009, j’ai mené une enquête sur des événements prenant pour objet les musiques du monde fabriquées en Allemagne : la compétition creole. Preis für Weltmusik aus Deutschland17, initiée en 2006 par un collectif d’institutions et d’associations militant pour la reconnaissance des pratiques artistiques et des cultures issues de l’immigration. De cette enquête, j’ai tiré plusieurs enseignements : le premier, développé dans la section précédente, est que le soupçon sur la catégorie de Weltmusik n’est pas le privilège de critiques externes à ce champ mais qu’il est également répandu parmi ceux qui s’en considèrent comme des acteurs – pour peu que l’on puisse tracer une frontière stable entre les deux puisque les mêmes personnes alternent parfois entre des postures d’engagement et de distanciation – et qu’il est, en outre, un peu plus répandu en Allemagne qu’en France. Un autre enseignement est celui-ci : en dépit de ce soupçon communément partagé vis-à-vis du label, il existe bien un monde peuplé d’une multitude d’acteurs qui contribuent à faire exister la Weltmusik par des occasions de rassemblement (des festivals, des prix, des cycles de débats, des rencontres professionnelles, des congrès etc.), des médias spécialisés et des rubriques dédiées – par exemple la Weltmusikbeilage qui paraît dans les éditions du week-end de la TAZ et qui a continué à exister en dépit des multiples fins annoncées par les rédacteurs de ce journal (cf. biblio) – mais aussi par le biais de dispositifs structurés sur la base d’autres catégories : des genres voisins ou associés (« Folk », « musique populaire », « musique traditionnelle », « global pop » etc.), des répertoires ou des styles musicaux spécifiques (« musique turque », « balkan beat », etc.), des secteurs de l’action publique (« Interkultur », « Soziokultur ») ou de la recherche (« Musikethnologie », « interkulturelle Musikpädagogik »). En somme, un monde peut-être moins centralisé que celui des « musiques du monde » en France mais dont la densité et le dynamisme sont probablement équivalents et dont les frontières sont en tout cas aussi mouvantes. C’est qu’en dépit de la moindre légitimité du label « Weltmusik » par rapport à celui de « musiques du monde », le rêve de rencontre des cultures par la musique n’a pas disparu de la société allemande. Il connaît tout au contraire une actualité croissante avec la multiplication de projets célébrant la « diversité » des pratiques musiciennes en Allemagne.

17 Sur les programmes et le site internet www.creole-weltmusik.de, le titre est orthographié sans majuscule comme l’adjectif anglais creole. Dans la suite de cette thèse, j’ai opté pour l’orthographe avec majuscule selon les conventions régissant l’écriture d’un intitulé. Sur les problèmes que posent l’orthographe et la prononciation de l’intitulé, voir infra, chap. 3.

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- INTRODUCTION -

Plutôt que de postuler l’existence d’un champ ou d’une scène aux frontières stabilisées, j’ai donc choisi de partir de l’observation d’événements singuliers afin de comprendre comment ceux-ci dessinent tout un monde de musiques au sein d’un espace civilisationnel germanique.

Or cette démarche requiert quelques explications.

La manifestation que j’ai choisi de placer au centre de mon enquête, Creole, consiste en une série de festivals ayant lieu à divers endroits de l’Allemagne au cours desquels sont sélectionnés des ensembles musicaux qui se produisent ensuite lors d’une compétition fédérale bi-annuelle : le Bundeswettbewerb Creole, au terme duquel sont décernés trois « prix pour les musiques du monde d’Allemagne » (depuis 2010 : « prix pour la musique globale d’Allemagne »). J’ai suivi de manière régulière ces compétitions pendant le premier cycle (2006/2007), de manière plus épisodique pendant les deux cycles suivants (2008/ 2009, 2010/2011) et j’ai parfois été amenée à y jouer un certain rôle outre celui de spectatrice et chercheuse : en tant qu’experte chargée de produire une « évaluation externe » (sur le premier cycle puis sur la compétition fédérale de 2009), en tant que membre du jury (lors du festival Creole Rhénanie-Westphalie à Dortmund en 2008) et en tant que chercheuse invitée pour des conférences et des débats organisés en parallèle des festivals Creole (à Dortmund en 2008, à Berlin en mai 2011). J’ai également été amenée à participer à d’autres manifestations reliées au projet Creole par divers aspects : un grand congrès sur la diversité culturelle organisé à Essen en mai 2007 dans lequel se produisaient certains ensembles candidats au Creole Rhénanie- Westphalie en 2006 et où j’ai été invitée à parler de « Weltmusik » (« musique mondiale » dans le programme français !), le World Music Expo qui se tenait en octobre 2007 à Séville au cours duquel j’ai retrouvé les organisateurs de Creole et observé le fonctionnement de ce que l’on appelle « le marché » de la musique, les rencontres de Babelmed à Marseille en 2008 où j’ai découvert un aspect du monde des « musiques du monde » à la française, le congrès Global Flux à Cologne en décembre 2010 dans lequel j’ai modéré des débats autour de l’enseignement des « musiques globales » en Allemagne et en Europe, la rencontre professionnelle c/Bra (creole-Branchentreff) organisée en parallèle de la troisième finale de Creole dans laquelle j’étais invitée à parler des « nouvelles tendances de la Weltmusik »18 – et d’autres manifestations qui seront parfois évoquées dans les chapitres qui suivent même si l’essentiel de la description sera centrée autour du cas de la compétition Creole.

18 Demande que j’ai reformulée en une question : « Pop-Musik werden oder Nische bleiben ? Zu einem langwierigen Debatte in der Weltmusik-Szene. », conférence non publiée.

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- INTRODUCTION -

Le monde que dessinent ces événements n’est pas un monde unifié et le terme de Weltmusik n’y constitue que l’une des entrées possibles19. Si j’avais défini dès le départ mon sujet de thèse comme « le monde de la Weltmusik », je serais probablement partie d’autres événements mieux établis, réputés plus représentatifs ou plus importants en terme d’impact : comme le WOMEX (un rassemblement incontournable des acteurs du marché européen et international de la world music) ou le TFF Rudolstadt (le plus grand festival de musiques du monde d’Allemagne) – deux événements qui bâtissent au demeurant des versions bien différentes de la Weltmusik. Mais j’ai choisi pour des raisons que j’expose au chapitre 1 de partir d’une manifestation moins établie, à la résonance plus confinée et à l’identité encore incertaine sans préjuger de sa représentativité au regard de telle ou telle catégorie. Ce qui devait être au départ un outil pour interroger le fonctionnement des politiques de la diversité en Allemagne est devenu, au fil de mon enquête, un outil pour questionner les relations entre différents secteurs d’activité établis en Allemagne (un champ des musiques du monde mais aussi un champ de l’action interculturelle ou encore de la Soziokultur) et, au-delà de ces secteurs que les acteurs perçoivent parfois comme des « petits mondes » ou des « créneaux » spécifiques (« die Nische Weltmusik », « die Nische Interkultur »), d’accueillir des questionnements plus généraux quant à divers aspects de la société allemande d’aujourd’hui et du monde contemporain : la tendance à la festivalisation20, le rapport à la notion de culture et plus singulièrement au domaine des traditons locales (la Volkskultur)21, l’implication des savoirs scientifiques dans les politiques publiques à l’ère de la « société du savoir (Wissensgesellschaft)22, la place de la musique dans un pays réputé terreau d’un patrimoine exceptionnel (« Musikland Deutschland »23), la question de la représentation de l’Allemagne à l’étranger, la difficile maîtrise du passé (Vergangenheitsbewältigung24), l’actualité de l’enjeu de diversité et le malaise qui entoure aujourd’hui la notion de

19 Cette ouverture sur le plan de l’objet et des questionnements n’est pas spécifique à cette enquête mais découle d’un mode d’ethnographie combinatoire tel que l’ont défini Nicolas Dodier et Isabelle Baszanger : « il s’agit d’être ouvert par principe, au-delà du souci méthodique de planification des observations, à la découverte des repères et des outils que les personnes mobilisent d’elles-mêmes dans leurs activités, pour agir avec d’autres individus et plus généralement avec le monde » (Baszanger / Dodier 1997, p.39)

20 Cf. Häussermann/Siebel 1993.

21 Cf. notamment les travaux de Hermann Bausinger (Bausinger 1961, 1971) qui ont contribué à initier un tournant majeur dans l’histoire de l’ethnologie allemande : celle-ci ne se convevant désormais plus comme une « science du peuple » (Volkskunde) mais comme une « science de la culture empirique » (Empirische Kulturwissenschaft, à Tübingen) ou une ethnologie de l’Europe (à Berlin, cf. Kaschuba 1999, Köstlin / Niedermüller/ Niktisch 2002).

22 La notion de « Wissensgesellschaft », mise en avant depuis quelques décennies dans les discours de politiciens allemands, a fait l’objet de travaux dont : Kübler 2005, Gemperle / Steckeisen 2006.

23 « L’Allemagne, pays de musique » est une appellation fréquemment mise en avant par le Ministère des Affaires Etrangères et les Goethe-Institut à l’étranger. Le même postulat d’une exception allemande dans le domaine de la musique est aussi revendiqué par certaines villes et Länder associés aux grands noms de la musique classique allemande et revendiquant l’appellation de « Musikstadt » ou « Musikland » : la Saxe et Basse-Saxe, Leipzig, Dresde etc.

24 Thème qui a été exploré avec une acuité particulière par Régine Robin dans Berlin chantiers (Robin 2001).

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- INTRODUCTION -

multiculturalisme, la question des critères d’appréciation des objets d’art et de culture – toutes questions qui ont surgi dans le cadre des compétitions Creole et que je développerai en temps venu à partir de l’analyse des situations. On y perd peut-être la vision rassurante d’un objet ou d’un problème prédéfinis mais c’est la condition pour accueillir la richesse des situations observées et pour en proposer une description d’ordre anthropologique : soit un compte-rendu visant à restituer, à partir de l’analyse des situations, l’arrière-plan des institutions qui contribuent à organiser une société et plus particulièrement ici, un monde de la musique25. Ici, les outils théoriques et méthodologiques (venant de l’anthropologie, de l’ethnomusicologie mais aussi de la philosophie, de l’histoire, de la sociologie) seront précisés à mesure de la description. Et l’on considèrera que les ambiguïtés que peut avoir la notion de « monde », dans ses usages ordinaires26 tout comme dans les concepts théoriques de « monde de l’art »27 (Becker 1988), de « Lebenswelt »28 (Alfred Schütz) ou encore des « manières de faire des mondes »29 (Nelson Goodman 1992) participent de la portée heuristique de cette notion comme outil de réflexion sur le fonctionnement d’une expérience collective et .

Cette ouverture sur le plan de la définition du terrain et des appuis théoriques ne sont pas seulement le fruit d’un goût pour « l’interdisciplinarité » mais elle constitue une condition pour rendre compte des situations que j’ai observées dans leurs dimensions plurielles. Les compétitions Creole constituent une forme d’enquête collective (au sens de Dewey 1993 [1927]) pour laquelle les acteurs se dotent de catégories partagées plus ou moins consensuelles (« Creole », « Weltmusik », « globale Musik ») et d’un dispositif complexe permettant d’organiser la rencontre avec des musiciens puis la sélection, la programmation et la mise en public de certains ensembles de « musiques du monde d’Allemagne ». Le résultat de ce

25 Cette perspective ne conçoit donc pas l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie comme trois niveaux distincts de l’analyse permettant de s’élever progressivement des faits concrets vers l’étude de l’homme mais pose que l’analyse anthropologique est ancrée dans celle des situations, notamment pour mieux questionner l’articulation entre les structures et les événements.

26 Dans les usages courants (en français et en allemand), le terme de « monde » peut faire référence à un ensemble ouvert voire infini (le vaste monde) ou clos (« petits univers formant des mondes à part », selon le sens I.3 du Petit Robert 2011), à un espace naturel (sens II : « la Terre ») aussi bien qu’à un groupe social ou une collectivité humaine (sens IV). On retrouve certaines de ces ambiguïtés dans le syntagme « musique(s) du monde », compris tour à tour comme l’ensemble des faits de ce monde pouvant être identifiés comme de la musique (« world music is that music that we encounter, well, everywhere in the world », Bohlman 2002) et comme un style musical procédant de la fusion de répertoires traditionnels et de techniques de composition venant des musiques actuelles (Arom 2006).

27 Selon la définition qu’en propose Howard Becker (Becker, 1988 [1982], p. 22), un monde de l'art est constitué du « réseau de tous ceux dont les activités, coordonnées grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production des œuvres qui font précisément la notoriété du monde de l’art ». Un des problèmes qui se pose alors pour le chercheur est d’expliciter les rapports entre les conventions qui ont cours dans un monde et l’action (cf. Dodier 1993).

28 La notion de Lebenswelt, traduite parfois par « monde vécu », a été forgée par Alfred Schütz dans la lignée de la phénoménologie de Husserl puis reprise par Thomas Luckmann et Peter Berger pour désigner le savoir quotidien dont use un sujet social pour se repérer dans le monde et agir (Cf. Schütz/Luckmann 1995).

29 Les ambiguïtés concernent notamment la notion de « version du monde ». Cf. sur ce point les précisions qu’a apportées Goodman dans un article intitulé « Quelques tracas mondains », in Pouivet 1992.

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- INTRODUCTION -

processus discontinu n’est pas établi d’avance – ce qui implique, sur le plan de la théorie de l’action, de reconnaître une créativité de l’agir30 – et cette incertitude constitue aussi une des conditions de succès de l’entreprise. L’inattendu fait partie des attentes. Pour cela, l’entrée de l’événement31 est particulièrement appropriée afin de réfléchir aux relations entre les expériences passées et présentes, entre les structures organisant la manifestation et ce qui advient effectivement en situation, entre des savoirs implicites fonctionnant sur le mode de l’évidence (« la Weltmusik telle que nous la connaissons ») et la dynamique de débat générée par chaque session festivalière. C’est sur la base de cette attention portée à l’articulation entre les structures et les événements que je m’essaierai progressivement à une montée en généralité visant à questionner, à partir du cas Creole, le mode d’existence d’un festival de musiques du monde et à poser le problème de l’identité d’un tel objet dans le temps : de quoi est-il question lorsque les participants s’interrogent sur « l’esprit » d’un festival ?

Il sera temps de préciser tout au long de ce travail les contours de la compétition Creole et les transformations qui l’ont affectée entre 2006 et 2011. Il me reste pour lors à introduire une vaste question qui forme à la fois l’arrière-plan de cette manifestation, le cœur des controverses autour des musiques du monde et le nœud des débats qui agitent aujourd’hui les sciences sociales et plus singulièrement l’anthropologie : peut-on encore user du terme de

« culture » ?

La fin des cultures ? L’Allemagne et l’idéal d’une société plurielle

La thèse d’une « fin de la Weltmusik » ne constitue pas un fait isolé mais elle se comprend plus largement en vertu d’une forme de raisonnement qui a cours aujourd’hui dans nos sociétés et dans nos mondes de recherche et que certains critiques ont choisi de regrouper sous l’appellation des afterologies32: soit de courants de pensées (post-modernisme, post- colonialisme, post-culturalisme, post-structuralisme etc.) qui, en dépit de leurs différences réelles et de leur complexité interne, ont en commun de soulever un problème épistémologique quant à la portée des changements observés (par exemple : de quoi la fin de la « Weltmusik »

30 Cf. Joas 1992. Les fondements anthropologiques de cette vision de l’action ont été précédemment développés dans Honneth/Joas 1980.

31 Voir notamment le numéro 38 de la revue Terrain (Qu'est-ce qu'un événement, 2002) et sur l’articulation entre événement et structure, Koselleck 1990 et Sahlins 1980.

32 Terme employé par Marshall Sahlins dans un article qui a fait date (Sahlins 1999). Dans la traduction française (Sahlins 2007), le terme est traduit par « postériologies ». Voir également le numéro de la revue Anthropologie et Sociétés intitulé La (dé)politisation de la culture ? (2004/28).

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- INTRODUCTION -

est-elle réellement la fin ?) Dans le sillage de ces courants de pensée, la notion de culture a fait l’objet de multiples mises en cause théoriques, notamment au sein de la discipline anthropologique33, tout en bénéficiant paradoxalement d’une actualité accrue dans le sillage des cultural studies. Dans les mêmes temps, elle s’est aussi imposée comme un terme de plus en plus omniprésent dans les débats publics (voir Kaschuba 1996, Yudice 2003), en particulier à travers la multiplication de déclarations, de congrès, de publications et de projets-pilotes autour de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’enjeu de diversité culturelle : ce tout particulièrement en Allemagne, où un vaste chantier de réflexion autour de cette notion a été initié sous l’égide d’organismes internationaux prestigieux comme l’Unesco (avec la Déclaration universelle sur la Diversité de 2001 puis la Convention de 200534), le Conseil de l’Europe et d’institutions réputées bastions de la culture légitime comme le Deutscher Musikrat – toutes institutions qui brandissent aujourd’hui l’étendard de la diversité culturelle35 alors même que le modèle politique « multiculturel » allemand se voit mis en question36. Ce double phénomène de mise en cause et d’inflation de la notion de culture, qui n’est peut-être paradoxal qu’en apparence37, témoigne plus largement de l’enchâssement constant entre les faits et les valeurs qui marquent les usages du terme de culture – tout comme ceux de musique ou de Weltmusik – et qui alimente des malentendus et des débats sans fin quant à la juste définition de ces notions.

Ce spectre complexe de problèmes a contribué à nourrir six années de lecture que je ne chercherai pas ici à résumer. C’est que ces débats ne constituent pas seulement une forme d’arrière-plan théorique cantonné à l’avant-propos38 : ils font pleinement partie de mon terrain d’enquête. Une des raisons qui explique que les festivals Creole fassent surgir, de manière permanente, des « malentendus productifs » (Sahlins 1996) est précisément le flou qui marque aujourd’hui les usages de la notion de culture et la perception des liens entre musique et cultures.

En ce sens, cette enquête ne vise pas à clore les débats sur ces notions mais plutôt à montrer leur capacité à alimenter des questionnements d’ordre pratique qu’il s’agira de spécifier à l’aune

33 Par ex. de la part de James Clifford, qui déclarait en 1988 que le concept de culture pourrait « avoir fait son temps » et qu’il faudrait « le remplacer, après Foucault, par une vision de formations discursives puissantes, déployées de façon globale et stratégique » (Clifford 1996 [1988], p. 271). Cette remise en question du concept de culture se traduit aussi par l’inflation des concepts évoquant le mélange (hybridation, créolisation, métissage…) elle-même questionnée par divers auteurs (voir entre autres Sahlins 1999, Friedmann 1994, Abélès 2008).

34 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée à Paris en octobre 2005.

35 Sur cet usage politique de la notion de diversité, voir notamment Welz 1996, Knecht 2005.

36 Cf. entre autres un ouvrage paru à la suite d’un congrès intitulé Beyond Multiculturalism ? qui eut lieu en juin 2009 à la Maison des Cultures du Monde de Berlin (Stemmler 2011).

37 Jonathan Friedman propose une explication de la relation entre le discours scientifique et les débats publics dans son article « Culture et politique de la culture : une dynamique durkheimienne » (Friedman 2004).

38 Sur la distinction entre texte et avant-propos, voir Favret-Saada 1977.

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- INTRODUCTION -

des situations observées : en considérant les questions que soulèvent la mise en pratique du concept de créolisation dans le cadre d’une compétition de musique (peut-on tracer une frontière entre des musiques résultant d’un processus de créolisation et des musiques qui ne le seraient pas ?), en examinant l’implication de chercheurs dans les mondes de la musique et en revenant sur le malaise que j’ai moi-même expérimenté une fois placée dans la position d’« experte » des musiques du monde ou de membre du jury de Creole ; en m’arrêtant sur les interrogations qui traversent aujourd’hui le champ de la Musikethnologie quant à son passé (cette Vergleichende Musikwissenschaft devenue suspecte39) et son avenir, sur les positionnements différenciés d’ethnomusicologues à l’égard de la world music40 ou encore sur les dilemmes d’un sociologue pris entre son engagement pour le Multikulti et son exigence en tant qu’amateur d’art (chap. 6). Vis-à-vis des chercheurs impliqués dans la fabrique des musiques du monde ou des politiques de la diversité culturelle, j’ai tâché de rendre compte des ressorts théoriques et institutionnels de leur activité scientifique mais aussi de leur implication en tant qu’acteurs sociaux pris dans des débats et contradictions qu’ils partagent avec d’autres acteurs des mondes de la musique et de la société : et notamment ce souci persistant de diversité qui fait que, même parmi les plus critiques à l’égard des discours convenus, personne ne veut renoncer à l’idéal d’une société plurielle.

Plus que par le biais d’une définition ou d’une référence théorique, le lecteur pourra trouver une réponse à cette vaste interrogation qui pèse aujourd’hui sur la notion de culture dans le type d’attention que je porte ici à l’espace civilisationnel allemand. Par bien des aspects, cette thèse est en effet le fruit de mon parcours : celui d’une germaniste formée à exercer sa pensée dans une certaine tradition scientifique française qui, en découvrant le domaine des sciences sociales, les mondes de l’anthropologie française et de l’ethnologie européenne de langue allemande, a commencé par mettre en doute la perspective qu’il puisse y avoir quelque chose comme une « culture allemande » pour finalement voir émerger sur son terrain des questionnements mettant en jeu l’identité allemande dans son rapport à d’autres cultures et au temps. Seulement, la fréquentation de travaux attentifs aux applications logiques plurielles du concept d’identité41 m’a entretemps appris à manier ce terme avec prudence, ce qui explique que cette question de « l’identité allemande » ne soit pas mise ici au premier plan et ne constitue pas non plus l’objet exclusif de mon attention. J’aurais eu matière à germaniser davantage mon objet en reprenant les thèses plus ou moins fondées de chercheurs et médiateurs culturels

39 Cf. chap. 2, portrait de Raimund Vogels.

40 De part et d’autre du Rhin, on a longtemps considéré cet objet comme hors du champ de la discipline (voir sur ce point Constant-Martin 1996). L’approche ici développée s’inscrit dans le sillage d’une anthropologie de la globalisation (Abélès 2008) questionnant l’inscription de ce phénomène dans un contexte local spécifique.

41 En particulier Lenclud 2008 et Lenclud 2009.

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