prätä et äd'ur chez les Manich^ens
Par Michel Tabdieu, Paris
Un grand nombre de textes relatifs ä la dömiurgie manichöenne
s'accordent pom dire que les dix cieux et les huit terres proviennent de
l'öquarissage des archontes par les fils de l'Esprit Vivant: les peaux
tendues forment les firmaments (A), les os servent a fabriquer les mon¬
tagnes (B), les chairs qui se desagregent en tombant deviennent le
mat^riau constitutif des terres (C). L'une ou l'autre des sequences se
retrouvent chez fipiphane (A), Th6odore bar Könai (AC), Jean Dama¬
scene (BC), dans la formule d'abjuration du Parisinus gr. 1372 (AC) et
dans le Skend gumänlh wizär (ABC).
Par deux fois Elphrem enonce correctement A et B, mais indique —
si l'on se fie aux traduetions proposees — que c'est de Ia fiente des ar¬
chontes que provient la terre. Konead Kesslee, qui publia aprös
Overbeck (Oxford 1865) une partie du texte du Traite II (lettre Pe)
transmis par le Br. Mus. add. 14574, traduisit r<'^T& par ,,Mist"i et
justifia son interpretation en renvoyant au De vocibus aequivocis de
Bar Hebraeus^. Feanz Cumont reprit cette traduction en ajoutant
tout de meme un point d'interrogation^. C. W. Mitchell, qui redoima
le texte et pubha les fragments de la röfutation contenue dans les pre¬
miers folios du palimpseste Br. Mus. add. 14623, n'eut pas l'hösitation
de Cumont et traduisit les deux fois par le mot anglais «excrement»,*
interpretation suivie sans broncher par la critique aprfes que A. V. W.
Jackson ait compose le dossier de tous les textes eonnus traitant de
cet episode de la cosmogonie manicheenne*.
En editant recemment le M 853, qui contient quelques lignes relatives
k ce mythe, Weenee Sundbemann traduit l'expression pehlevie 'd'wr
'wd drwSg par ,, Exkremente und das Abgetrennte"*. L'interpretation
1 K. Kessler: Mani. Forschungen über die manichäische Religion. Berlin
1899, p. 279, 32. » Ibid., p. 295, n. 6.
* Fr. Cumont : Recherches sur le manichiisme. 1: La cosmogonie maniche-
enne d'apris Theodore bar Khdni. Bruxelles 1908, p. 26, n. 4.
* C. W. Mitchell: S. Ephraim's Prose Refutations of Mani, Marcion and
Bardaisän. T. 1. London-Oxford 1912, p. 11, 15 (syr.), p. xxxiv (trad.);
t. 2, 1921, p. 228, 33 (syr.), p. oviii (trad.).
« A. V. W. Jackson: Researches in Manichaeism. New York 1932,
p. 314—320. « W. Sundermann: Mittelpersische und parthische
kosmogonische und Parabeltexte der Manichäer. Berlin 1973, 844.
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de dröSag ne fait pas difi&culte. Par contre, la justification de la tra¬
duction dc l'hapax 'd'wr par «excr^ment» s'appuie chez Sundebmann
exclusivement sm Henning : Mitteliranisch. Dans : Handbuch der Orien¬
talistik. Abt. 1, Bd. 4: Iranistik, Abschn. 1: Linguistik. Leiden, Köln
1958, p. 75: 'd'wr 'Exkremente' von 'dwr 'Feuer', lequel a dü induire
une teile acception k partir du texte parallMc d'fiphrem selon la tra¬
duction rcfue.
Cette interpretation parait irrecevable. Elle n'est attest^e nulle part.
Comment une teile cocasserie eüt pu öchapper k I'esprit caustique des
her^siologues? D'autre part, les somces de Ibn al-Nadim et 'Abd al-
Jabbär, qui tenaient leurs informations des Manicheens d'Asie centrale,
done de langue iranienne, rdpötent que c'est bien k partir des parcelles
m61ang6es 'br Cf) ^ suite du premier combat entre «anges»
et «diables», qu'ont 6t6 faits Ies cieux et Ies terres'. Point n'est besoin
de supposer une malveülance d'fiphrem ou des copistes operant un pas¬
sage de r<'^od>T& «miettes», «fragments», «morceaux», ä K'^xia. «fiente»,
«crotte», «excrement». La racine PRT signifie en semitique commun
«briser», «broyer», «reduire en petits morceaux», «desintegrer». De Ia
Sorte, le substantif r<'ÄiiÄ dans Ies deux citations d'fiphrem ne doit
pas etre Iu pertä («matiere fScale»), ainsi que le fait Kessleb dans sa
vocahsation du texte syriaque", mais prätä, qui designe toute substance alimentaire morcelöe et emiett6e», prata en mand^en'". Par consequent,
l'expression du M 853, 'd'wr 'wd drwsg, veut dhe «le depece et le sec-
tionne», Ie second terme servant en quelque sorte k expliquer Ie premier.
II n'existe done pas trois versions divergentes du mythe de I'origine
de Ia terre : k partir des chairs dösagregrees, des excrements ou des par¬
celles melang6es, mais une seule. La terre est formee de la chah'' du
ou des demons primordiaux, chair morcelee aprfes I'^quarissage, d&-
int6gr6e lors de Ia chute, reduite ä I'ötat d'os broy^s et de parcelles
mölangees, mais porteuse de ces particules lumineuses dont les Episodes
ulterieurs du mythe expliqueront Ie processus de rafi&nage.
' Ibn al-Nadim: al-Fihrist. Ed. G. Flügel. (Ed. maj. Leipzig 1871/72,
commodömont reproduit dans A. Ar§ÄB-i SIeäzi : Mutün-i 'arabi ..., Töhö-
ran 1956, p. 153, 10—12; 'Abd al-Jabbär; al-Mugnl. T. 5. Le Caire 1965,
p. 13, 6—7. * Kessleb: Mani, p. 278, 14.
» R. Payne Smith: Thes. Syr. Oxford 1879—1901, IF, 3311, s.v. prätä-
pürütä.
'» Dans le texte magique 4>Ait4> par E. S. Dboweb in: JRAS 1937, p. 592;
cf. E. S. Dbovi^ee & R. Macuoh: A Mandaic Dictionary. Oxford 1963,
p. 378a.
" M.p. : göH (cf. SQW XVI 11); selon une formule manichöenne contenue dans le Vatopedinus gr. 236, la terre est «le corps des archontes öcorchös»,
cf. [Zacharie le Rhöteur]: Kephalaia. Ed. M. Richabd. Leuven 1977, III,
77—78.
Liturgical Chant and Hymnody
Among the Manieheans of Central Asia
By Ghbistopheb J. Bbunnee, New York, N.Y.
The survivmg body of Manichean hymn hterature attests the vitah-
ty of musical expression within the cult ; and the importance of singing
in Manichean ritual presumably goes back to the religion's very begin¬
nings.' The Elkhasaite sect within which Mani matured must have been
famihar with psalmodic chant ; and before him lay the example of Bar¬
desanes of Edessa and his disciples which showed the potency of the
hymn form for polemic and proselytizing.^ The apostle Mani may have
composed, not only hynm texts, but also melodies.^ His disciple, Heracle-
' The following abbreviations are used below. BBB: W. B. Henninq:
Ein manichäisches Bet- und Beichtbuch. Berlin 1936. (Abhandlimgen der
Preußischen Akademie der Wissenschaften [APAW]. 1936, Nr. 10.); Cat.;
Maby Boyce : A Catalogue of the Iranian Manuscripts in Manichean Script
in the Oerman Turfan Collection. Berlin 1960; HR: F. W. K. Mülleb: Hand¬
schriften-Reste in Estrangelo-Schrift aus Turfan, Chinesisch-Turkestan. T. 2.
(Anhang zu APAW. 1904); "Man. Ill": C. Salemann: Manichaica III. In:
Bulletin de l'Academie Impöriale des Sciences de St.-Petersbourg 1912,
pp. 1-32; Mir. Man. III: F. C. Andbeas and W. B. Henning: Mittelirani¬
sche Manichaica aus Chinesisch-Turkestan. III. Berlin 1934. (Sitzungs¬
berichte der Preußischen Akademie der Wissenschaften [SPAW]. 1934,
Nr. 27); MS: C. Salem ANN: Manichaeische Studien. 1: Die mittelpersische
texte. St. petersbourg 1908, (Memoires de l'Academie Imperiale des Sciences
de St.-petersbourg, 1908. Ser. 8, Vol. 8, No. 10.); Psalm-Book: C. R. C.
Allberby: a Manichaean Psalm-Book. P. 2. Stuttgart 1938.
' For Mani as an Elkhasaite, see A. Heneichs and L. Koenen: Ein
griechischer Mani Codex. In: Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 5
(1970), pp. 97-216. On the hjmins of Bardesanes and Harmonios, see A.
Baumstabk: Oeschichte der syrischen Literatur. Bonn 1922, pp. 13-14;
E. Werneb: The Sacred Bridge. New York 1959, pp. 146, 211-212.
' For the fragments of Mani's psalms, see Boyce : Cat., p. 147. Two ru¬
brics are found which might allude to the apostle: "This [hymn] according to [his?] own melody" (en pad . . xweS nawäk. Lb 1-2; it precedes a cantil-
lated text, strophe one below, and so does not mean "one's own melody,
ad libitum"); cf Sogdian 'ynVV xypS nw'kyy [. ..] (M 388 V 3). See HR,
p. 29, MS, pp. 24, 32.